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COMMENT LES JEUNES DOIVENT àŠTRE PROTà‰Gà‰S…
dimanche 30 décembre 2007, par
Ce n’est pas crier au loup inutilement que de parler de retour de la censure en France. Déjà, les débats sur « Rose Bonbon », roman mettant en scène un pédophile et qui a valu à son éditeur d’être convoqué par le ministre de l’Intérieur, s’inscrivaient dans un retour à l’ordre moral. Et un des moyens d’imposer ce repli réactionnaire, c’est bien sûr la censure. Ce n’est certainement pas un hasard si, à chaque fois, les œuvres incriminées renvoient à la sexualité, et si, à chaque fois, c’est au nom de la protection de l’enfance et des jeunes que l’on prétend agir. C’est en notre nom qu’on fait tout ça !
Dernier exemple en date, le rapport sur « la violence à la télévision » remis par Blandine Kriegel au ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, le 15 novembre 2002. Il recommande la mise en place d’un programme élargi « de mise hors de portée des enfants » des programmes violents ou pornographiques à la télé. Principales traductions pratiques :
1. interdire la diffusion à la télévision de 7 h à 22 h 30 des programmes ou bandes annonces violents et pornographiques.
2. instaurer un double cryptage ou un paiement à la séance pour les émissions pornographiques.
3. réorganiser la commission nationale de classification des films, que le rapport accuse d’être trop laxiste.
4. renforcer les pouvoirs du CSA.
Depuis, les réactions se sont multipliées mais il est bien difficile d’y voir clair dans tout ce tapage. La plupart du temps, le débat semble mal posé et les vrais enjeux mis de côté. Premier élément, le rapport Kriegel pose comme une évidence que la télévision a une influence directe sur les spectateurs, et particulièrement sur les jeunes. Il explique en effet que la violence à la télé a des « effets sur les enfants mais aussi sur les jeunes adultes » tels que l’acquisition de stéréotypes, la baisse de l’inhibition et de la culpabilité. En clair, la télé véhicule des stéréotypes qui, aussitôt regardés, sont assimilés par les téléspectateurs. En diffusant des images violentes, elle encouragerait les jeunes à commettre des crimes, parce qu’ils en auraient alors moins honte et moins peur.
Pourtant, les sociologues des médias ne sont absolument pas tranchés sur la question. Certains, au début du siècle (le XXe), parlaient d’une influence directe des médias sur le public, de l’effet « seringue épidermique ». Alors, on a dit par exemple que la radio avait provoqué l’élection de Hitler en Allemagne. Depuis, la plupart des chercheurs penchent plutôt pour une influence indirecte des médias. En fait, la télé, la presse, la radio etc viendraient surtout renforcer des opinions préexistantes. Prenons l’exemple de la pornographie : dire qu’elle véhicule une image dégradante, violente et aliénante des femmes est une réalité. Mais comment affirmer qu’elle est la source de l’oppression des femmes dans la société, notamment en matière de sexualité ? La pornographie renforce l’idée, par ailleurs véhiculée à travers l’éducation et l’idéologie dominante en général, que le corps des femmes est au service du désir des hommes. Ce sont bien sûr les jeunes qui ont le moins de repères, parce qu’ils vivent dans la pauvreté et la précarité, qui sont le plus sensibles à cet effet indirect de la télé.
Autre évidence posée par ce fameux rapport : l’augmentation de la violence dans la société. Mais sans la multiplication des procès pour pédophilie, « l’affaire Rose bonbon » n’aurait pas eu un tel retentissement ; sans l’augmentation des procès pour viol en réunion, la volonté d’interdire la diffusion de films porno ne rencontrerait pas tant d’écho ; sans le développement du « sentiment d’insécurité », la question de limiter la violence à la télévision ne se poserait sans doute pas. Le gouvernement s’appuie sur de réelles inquiétudes sociales, dont il ne s’agit pas de nier la gravité. Il faut simplement rappeler que les chiffres de « l’insécurité » renvoient à l’activité policière et judiciaire. Par exemple, il est certain que l’augmentation des procès pour violences sexuelles tient pour beaucoup à la reconnaissance de leur gravité et à la libération progressive de la parole des victimes .
Non seulement le retour de la censure menace la liberté d’expression des artistes, mais le discours qui l’accompagne permet de masquer les vrais enjeux : les inégalités sociales, la dégradation des conditions de travail, l’oppression des femmes, le manque de moyens de l’école, l’absence d’éducation sexuelle… Et instaure une sorte de consensus social évident (la violence et la pornographie, c’est pas bien pour les petits enfants) qui permet à la droite de mettre en place sa politique sans qu’une riposte large s’organise.
Clara, [Paris]