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LA FRANCE EN Cà”TE D’IVOIRE :

LA LÉGION, SINON RIEN !

dimanche 30 décembre 2007, par Antoine

« Il faut envoyer des troupes supplémentaires en Côte d’Ivoire, pour sécuriser le transport du cacao. Une culture vitale pour la Côte d’Ivoire. »

Dominique de Villepin, 11 décembre 2002.

Cela faisait plusieurs semaines que les médias, parlant de la Côte d’Ivoire, présentaient l’intervention française comme une nécessité humanitaire, l’armée devant y servir comme force d’interposition entre les troupes fidèles au régime de Gbagbo (dites « loyalistes ») et les factions rebelles, et pour garantir la sécurité des étrangers encore présents dans le pays, principalement à Abidjan et Yamoussoukro, la capitale. Depuis l’éclatement du conflit le 19 septembre entre les loyalistes et le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI, implanté dans le nord du pays), la situation s’est extrêmement complexifiée avec l’entrée en scène de nouveaux protagonistes. La signature d’un cessez-le-feu entre Gbagbo et le MPCI au début du mois d’octobre a contribué à la naissance de deux autres foyers de rébellion refusant le compromis : le Mouvement pour la justice et la paix (MJP) est né d’une scission avec le MPCI et tient désormais le nord-ouest du pays. A l’Ouest, les rebelles sont fédérés au sein du MPIGO (Mouvement patriotique ivoirien du Grand Ouest), mouvement qui a été le plus déstabilisant pour le pouvoir de Gbagbo puisque ce front de lutte s’est rapidement étendu jusqu’aux villes de Man et Danané, et s’est attaqué à l’armée française le 21 décembre à Duékoué.

Opération « Licorne ». La Côte d’Ivoire est donc aujourd’hui, de fait, bel et bien divisée en deux zones distinctes, formellement séparées par le déploiement de troupes françaises avec le lancement de l’opération « Licorne », début décembre. Avec 2500 militaires en Côte d’Ivoire, la France procède ainsi à ses traditionnelles opérations d’ingérence de grande ampleur en Afrique. Le prétexte humanitaire ne trompera une fois encore que les plus naïfs. Comment croire en effet que la France, dont la présence est à la source du problème ivoirien, puisse apporter une solution pacifique et démocratique au conflit ? Rappelons que la France, depuis l’éclatement de la guerre civile, joue gros dans l’affaire : un monopole de fait sur l’ensemble des ressources (cacao, café, bois…) et des marchés (notamment les concessions d’eau et d’électricité détenues par Bouygues), ainsi que le maintien d’un des plus solides bastions de la Françafrique. Et nul doute que le poids de cet enjeu a pesé sur la conduite du Quai d’Orsay. Depuis que Gbagbo a été adoubé en bonne et due forme par notre « cher » gouvernement, celui-ci bénéficie d’un soutien indéfectible, tant sur le plan diplomatique que militaire.

L’un des grands objectifs de l’opération « Licorne » est par exemple la « sécurisation » des zones d’Abidjan, Yamoussoukro et du port cacaoyer de San Pedro, ce qui, pour résumer, s’apparente à une défense inconditionnelle des centres de pouvoir économique et politique de la Côte d’Ivoire, au profit de Gbagbo… et de la France elle-même. Sur le terrain, ce soutien n’est que plus explicite encore. La politique « d’interposition » des troupes françaises prend des réalités différentes suivant leur interlocuteur : derrière une rigueur de façade, le général Bentegeat, l’un des chefs de l’opération « Licorne », avouait dans l’édition du Monde du 24 décembre que toute tentative de la part des loyalistes de réduire la rébellion restait légitime et que dans ce cas, l’armée française n’interviendrait pas ! Autrement dit, l’adage « deux poids, deux mesures » est ici d’une terrible actualité, montrant à qui ne le croirait pas encore combien l’intervention française n’a rien d’humanitaire.

L’ONU soutient la France. Sur la scène politique internationale, la France a rectifié le tir, elle qui craignait que les Etats-Unis ne viennent regarder du côté de leur « pré carré ». Ainsi a-t-elle mis en place une médiation entre le gouvernement et les différentes factions rebelles, médiation menée par le président togolais Eyadéma, qui a acquis dans les rapports d’Amnesty International la réputation d’éliminer ses opposants politiques en les jetant d’un avion, et que Chirac présentait il y a quelques années comme « un grand ami de la France » ! Sans doute le soutien exprimé il y a peu par l’ONU à Gbagbo, le reconnaissant comme seul légitime dans le conflit car ayant été démocratiquement élu (Kofi Annan oubliant au passage que ces élections ont exclu pratiquement le quart de la population pour cause d’une « ivoirité douteuse »), a-t-il été marchandé par la France contre son soutien à une offensive contre l’Irak, ce qui expliquerait du même coup l’absence soudaine des Etats-Unis dans la région. Dans de telles conditions, on ne peut que rester bouche bée de voir le Quai d’Orsay organiser une « conférence des forces politiques ivoiriennes », qui n’a de légitimité que celle que la France lui donne. Dernière victoire diplomatique en date pour la France, les troupes de la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) devraient bientôt soutenir une armée française qui, dans la presse, se félicitait du fait que le plus gros des troupes provenait du Sénégal, où les militaires sont formés par la France ! On peut évidemment douter de la neutralité d’une Cedeao qui n’est que le jouet de la France dans cette affaire.

Au final, aucun des problèmes de fond relatifs à l’éclatement du conflit n’est soulevé par nos médias : une économie plongée dans une crise profonde en raison de son pillage systématique, un racisme instrumentalisé par les cliques au pouvoir, la bienveillance française, fermant les yeux sur les dérives d’un système qui lui assure une rente significative. D’où l’urgence de faire la lumière sur un conflit qui ne suscite que peu de réactions, même au sein du mouvement altermondialiste. La Côte d’Ivoire, contrairement à l’Irak ou la Palestine, voire la Tchétchénie, est restée absente des slogans des premières manifestations anti-guerre. Il est de notre responsabilité de rappeler que dans cette mondialisation marchande et guerrière, la France conserve une place de choix, et que c’est l’ensemble du peuple ivoirien qui, après le Rwanda, en paye les frais aujourd’hui... Avant combien d’autres encore ?

Hervé, [Lyon]

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