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LE JEU DU PATRONAT

samedi 16 décembre 2006, par JCR-RED

Lorsque Marx parlait des chômeurs comme « armée de réserve du capital », il ne faisait que dire une chose simple : moins il y a d’emploi par rapport au nombre de chercheurs d’emplois, plus ceux-ci acceptent des conditions de travail et de salaires dégradées. Et ceci, bien sûr, se répercute sur l’ensemble des salariés, réduits alors à lutter pour éviter le nivellement par le bas.

Mais à son époque, le problème de l’emploi stable se posait différemment, puisqu’une grande partie du prolétariat, notamment dans l’industrie, était volontairement « précaire » comme dans le cas des nombreux migrants ruraux retournant dans leurs campagnes pour les récoltes. Pour le patronat, l’enjeu était alors de « stabiliser » l’emploi, comme à travers la construction des cités ouvrières fidélisant et fixant géographiquement ouvriers et ouvrières. C’est dire s’il faut relativiser l’idée d’une « flexibilisation » des formes de travail économiquement nécessaire (comme d’ailleurs celle de l’emploi stable comme norme « idéale ).

Le développement de la précarité à partir des années 80 s’inscrit dans une période historique particulière ; c’est la concrétisation des évolutions des dernières décennies. Face à la crise économiques amorcée dans les années 70, les patrons ont cherché à maintenir leur taux de profit en augmentant l’exploitation des salariés. Cette évolution correspond également à l’offensive idéologique libérale à partir de la fin 70s qui vient légitimer cette politique patronale En Grande Bretagne et aux USA, Thatcher et Reagan mènent une politique anti-syndicale et de privatisation à tout crin. En France, le tournant de l’austérité budgétaire mené par le gouvernement socialiste en 1983 correspond également à une acceptation de ce cadre libéral. Enfin, ce tournant libéral correspond à un retour au capitalisme débridé du siècle dernier ; il a à la fois accéléré la déroute des pays de type soviétique et été renforcé par celle-ci.

Cette offensive politique et idéologique a eu pour conséquence de réduire pendant plus d’une décennie la combativité ouvrière et les cadres collectifs de résistance ; elle tend à imposer un modèle de société individualiste dont la précarité est une concrétisation dans le monde du travail.

Si le patronat impose aujourd’hui la précarité, c’est qu’elle lui est nécessaire en ce moment, non seulement pour dégager toujours plus de profits dans le cadre du système concurrentiel, mais aussi car c’est une arme de guerre sociale extrêmement puissante.

A QUI PROFITE LE CRIME ?

Si les différents gouvernements, de droite comme de “gauche” ont développé la précarité de l’emploi, c’est bien sous l’influence du patronat, influence plus directe aujourd’hui que jamais à travers le rôle politique joué en France par le Medef, ce “syndicat” de patrons.

Ces exigences répondent aux évolutions de l’économie mondiale depuis la fin des années 70. Les grands dirigeants d’entreprises se sont ainsi lancés dans une course de vitesse dont les salariés sont les seuls vrais perdants. Il faut produire en s’adaptant avec la plus grande vitesse à tout changement de conjoncture ou d’habitude dans les modes de consommation. Pour cela, il faut pouvoir adapter sa production à tous prix et de façon quasi immédiate, et donc pouvoir augmenter ou réduire le nombre de ses salariés dès que cela paraît nécessaire... “Flexibilisation” et précarité sont dans ce cadre les compléments aux réguliers licenciements. Parfois, c’est à travers la sous-traitance que s’adaptent les grosses entreprises : on donne des taches à des boites plus petites, qui, dépendantes directement de ces commandes, luttent pour leur survie... au prix là encore de la précarité la plus poussée pour les salariés.

Ajoutons à cela la technique des “flux tendus”, grande force, dans les années 80, de l’économie japonaise, aujourd’hui généralisée. Le but : éviter de perdre du temps et de l’argent en supprimant les stocks et en réagissant immédiatement à toute demande de production. Là encore, si les flux se tendent, l’emploi lui se flexibilise. L’objectif toujours avoué : augmenter les taux de profits dans le cadre du système concurrentiel, écraser l’adversaire, et tant pis pour les salarié/es qui en sont victimes.

Derrière la souffrance au travail (et en dehors) due à la précarité, il y a donc simplement toujours la même nécessité de l’économie capitaliste : le patronat se bat pour ses bénéfices et comme les résultats économiques des grosses entreprises le montrent : à lui, le crime profite.

LA PRECARITE : TACTIQUE DE GUERRE SOCIALE

Mais l’on aurait tort de ne voir dans la précarisation qu’une stratégie économique. Précariser, c’est aussi un excellent moyen pour éviter les oppositions sociales, quelles que soient leur forme.

Tout d’abord, faire accumuler à un salarié les périodes d’essais, stages, contrats à durée déterminée, emplois jeunes etc, c’est multiplier les obstacles à l’accession à un éventuel poste fixe. Le candidat à ce type de poste est donc censé non seulement être “bon”, mais encore supporter cette incertitude qu’est l’emploi précaire avec stoïcisme. Dès le début, le patron peut vérifier que l’employé est prêt à tout accepter. Le stage en entreprise, de plus en plus développé, est dans ce cadre un passage d’aliénation totale obligée si l’on souhaite se faire ensuite embaucher.

Quant à ceux qui n’ont même pas cet espoir de contrat à durée indéterminée, chaque renouvellement de l’emploi est un combat, dans lequel toute forme d’opposition à l’autorité patronale peut être sanctionnée par la perte définitive de sa place. La pression est ainsi permanente, et toute forme de révolte sans espoir : le patron peut remplacer au plus vite l’éventuel réfractaire. Le travail en intérim en est l’exemple le plus terrifiant : mis à part des travailleurs très spécialisés pouvant imposer leurs vues, la grande partie des intérimaires peut voir son contrat arrêté d’une semaine à l’autre, voir parfois d’un jour à l’autre... Refusez des heures sup’, répondez au chef de chantier, arrivez en retard ou faites une erreur, et le boulot est peut-être perdu... Revendiquez, et c’est l’agence d’intérim elle-même qui vous ferme ses portes définitivement... Quant aux formes de lutte organisée, syndicale par exemple, sont extrêmement difficile à mettre en place même si de récentes mobilisations dans le domaine de la téléphonie aux Etats-Unis et en France démontrent que les salarié-E-s s’adaptent pour résister.

Car la précarisation, c’est aussi un moyen parfait pour affaiblir les syndicats, éviter les grèves, bref, museler toute forme d’autodéfense des salariés. Comment un CDD pourrait-il se syndiquer ouvertement s’il souhaite voir son emploi reconduit ? On a ici une des causes de l’affaiblissement du syndicalisme de lutte depuis 20 ans. Se syndiquer et le rester nécessite une certaine stabilité dans une entreprise, ne serait-ce que le temps de se laisser convaincre par les militants, vivre des luttes avec eux. Lorsque l’on sait que l’on ne fait “que passer”, dur de se motiver pour monter ou renforcer une section syndicale. Quant à faire la grève sans un minimum d’espoir de garder son boulot ensuite, cela devient de l’héroïsme... Dormez, patrons, vos employés travaillent et s’écrasent : ils n’ont pas le choix. Cette vieille victoire du prolétariat qu’est le droit de grève et de syndicalisation devient, avec la précarité, une hypocrisie : pour beaucoup aujourd’hui, il n’existe plus.

Enfin, pour que les futurs travailleurs sachent tout de suite à quoi ils devront se soumettre, les stages dans le cadre scolaires se multiplient : depuis le collège jusqu’à la fac, ils deviennent la règle, avec des garanties minimum en terme de formation, d’horaires, et parfois aucune paye. BEP, CAP, apprentissage, autant de formations où le jeune apprend d’abord que dans l’entreprise, “on ferme sa gueule”. D’ailleurs, le lycée pro lui-même l’impose bien souvent aussi dans l’établissement scolaire lui-même, puisqu’il est là pour vous “préparer au monde de l’entreprise...”

Jusqu’où iront les patrons ?

Très loin sans doute, si on les laisse faire... Après tout, les politiques voulant voir les chiffres du chômage baisser, et les emplois précaires n’étant que rarement comptabilisés dans les statistiques officielles, tout le monde a intérêt à continuer dans ce sens, mis à part les salarié/es eux et elles-mêmes (c’est à dire l’immense majorité...).

Se pencher sur les pays qu’on nous présente comme modèles du presque-plein-emploi est tout à fait éclairant, et effrayant. Que ce soit aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, libérer les patrons de toute contrainte en terme de salaires, d’horaires, durée d’emploi et de licenciement, cela signifie précarité et pauvreté. On peut aujourd’hui dans ces pays être “extrêmement pauvre” (selon les critères officiels) et pourtant travailler régulièrement avec différents emplois instables, plus ou moins partiels. C’est peut-être cela, le plein emploi promis par Jospin.

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