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« J’ai vu…  »

lundi 31 décembre 2007, par Antoine

Abdelfattah habite au camp de réfugiés d’Aïda, près de Béthléem. Nous l’avions déjà interviewé, dans un précédent numéro de Red, il nous parlait du centre culturel qu’il avait créé pour les enfants de son camp de réfugiés, leur faisant notamment pratiquer le théâtre. Au début du mois de mars 2002, l’armée israélienne a lancé une vaste opération militaire au sein des camps palestiniens, procédant à de multiples exactions. Abdelfattah nous raconte ce qui s’est passé à Aïda. Soyez heureux monde enveloppé de silence. Le Sept mars de l’an 2002, les missiles israéliens, les mitraillettes lourdes des hélicoptères Apache et des tanks israéliens ont transformé la terre d’Aïda en volcan. La terre est devenue brûlante et bouillonnante. Le feu s’échappait des voitures bombardées et des maisons mitraillées. Le sang des innocentes gens et des animaux dans les rues du camp abreuvait le goudron de la rue et le ciment du sol des maisons. Les soldats de Tsahal, l’armée puissante équipée sur son trente et un, avec les dernières technologies destructrices, ont commencé à creuser dans les murs des maisons. Passant d’une maison à l’autre en creusant, comme des taupes, des tunnels dans les murs entre les maisons voisines. Courageuse tactique de ces braves soldats, d’une armée qui a la réputation d’être invaincue. Allez soldats. Avancez. Visez. Tirez. Là bas il y a un homme armé. Et à côté son fils. Là derrière, sa femme enceinte, et sa petite fille. Allez soldats. Tirez. Là bas il y a un vieux. Il n’arrête pas de bavarder et de raconter des histoires sur des droits au retour aux villages ancestraux et je ne sais quelles bêtises. Alors, préparez-vous soldats. Allez. Tirez. Puis sur le coin de la rue, il y a une femme. Son mari est en prison. Son fils aîné est exilé, son cadet est terroriste en poursuite, et son plus jeune fils est un martyr, je veux dire mort comme un chien. Cette femme est dangereuse, alors allez soldats. Tirez. Et là bas encore, se promènent des chats. Ils violaient le couvre-feu. Allez soldats, tirez. Tirez. Et encore là, puis là bas, puis dans cette maison là, ici et ailleurs. Tirez soldats. Tirez soldats sur tout ce qui bouge et ne bouge même pas. On doit des comptes à personne. On est les soldats de Tsahal, soldats d’Israël. Personne ne nous demandera des comptes. Sinon, il sera accusé d’antisémitisme. Tuons ces arabes sauvages. Ces terroristes barbares. Ces rats qui courent à toute vitesse devant nos hélicoptères et nos tanks et nos tireurs d’élites. Démolissons toutes les maisons, foyers des martyrs qui ont résisté contre l’arrogance d’Israël. Allons soldats. Ramassez les corps de ces bêtes de Palestiniens. Exhibez-les sur vos chars et vos tanks. Que tous ceux qui les voient soient terrorisés à jamais. Dévalisons tous les magasins détruits, et toutes les maisons occupées et démolies. Qu’on ne laisse rien. Argent, or, pièces électroniques, téléphones portables, des choses à manger. Tout est bon à voler pour les soldats de Tsahal. Soldats d’une armée régulière et non pas des mercenaires. Des bandes de voleurs et des assassins sans valeurs, sans honneur et sans respect pour l’uniforme qu’ils portent, si l’uniforme d’un soldat, même dans l’armée occupante inspire le respect. Allez soldats. Garde à vous. Là bas, il y a des cris. Quelqu’un est mort. Une vieille dame. Que personne ne lui vienne en aide. Bloquons les routes. Pas d’ambulance. Tirez. Pas de médecins. Tirez. Pas de journalistes. Tirez. Faisons encore mieux soldats. Envoyez les forces spéciales. Ils sont malins ces palestiniens. Donc, il faut un plan. Prenez ces ambulances. Allez-vous infiltrer au milieu des Palestiniens. Tuez les activistes, les terroristes et tirez sur tout ce qui bouge. Pas de protestation de la Croix Rouge ? Démolissons toutes leurs infrastructures. Pas de protestation des pays donateurs ? Tuons les journalistes. Pas de protestation des médias ? On s’en fout. Qui ose protester contre Israël ? Et si quelqu’un ose protester, on dira alors qu’on fera une enquête. Mais que se passe-t-il ? Pourquoi ne sentez-vous pas la victoire ? Pourquoi vous avez honte devant vos exploits ? Gens du monde. Que vous soyez politiciens ou simples citoyens, intellectuels ou illettrés, riches ou pauvres. Oppresseurs ou opprimés. Puissants ou mal placés. Personne ne pourra dire aujourd’hui qu’il ne savait pas. Qu’il n’a pas été informé. Je crie comme Emile Zola : J’ACCUSE Je vous accuse d’être témoins de massacres et de ne rien faire.. Votre silence est hypocrisie. Votre silence permet la massacre de tout un peuple. Votre silence est un bon prix pour l’oppression et l’injustice. Votre silence joue contre les droits de l’homme, contre les droits légitimes d’un peuple à vivre en dignité. Votre silence est contre les droits des enfants à vivre comme des enfants en toute innocence et en toute joie. Votre silence sacrifie des bébés pas encore nés, des femmes enceintes qui n’ont pas accouché, des enfants qui n’ont pas encore appris à parler, des vieux qui vivent un rêve de retour à leurs terres ancestrales, des jeunes qui ont la force d’espérer, de vivre et de résister l’oppression et la négation et l’abandon et l’oubli.. Votre silence est injuste. Votre silence est inhumain. Votre silence nous tue.

AbdelFattah Abu-Srour

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