Accueil > RED > 2002 > RED 24 - mai 2002 > Monde > Silence, on massacre !
Palestine :
Silence, on massacre !
vendredi 4 janvier 2008, par
Israël l’assure : la première étape de l’opération « rempart » est achevée. Cette vaste opération militaire a constitué en la réoccupation totale de l’ensemble des zones autonomes palestiniennes, sauf Gaza et Jéricho, ce qui n’est pas innocent, on en reparlera. Il est à l’heure actuelle impossible de chiffrer les dégâts engendrés par cette invasion d’une violence sans précédent, mais on sait déjà que les morts se comptent en centaines, les blessés et les prisonniers en milliers, et les enfants traumatisés qui se transformeront tôt ou tard en bombes humaines en dizaines de milliers. Le but de cette opération était bien entendu de « démanteler les infrastructures terroristes ».
Pour ce faire, une méthode simple : occupation des villes avec quantités de tanks, protégés par des hélicoptères, couvre-feu, fouille des maisons, arrestations multiples, quantité de morts et de blessés à chaque fois. Pour pouvoir agir en toute impunité, les Israéliens ont utilisé une méthode qui a déjà fait ses preuves : ils ont créé deux « pôles de fixation » médiatiques, le QG d’Arafat à Ramallah et l’église de la Nativité à Béthléem. L’attention médiatique s’est focalisée presque exclusivement sur ces deux points, en faisant les principaux enjeux de l’offensive israélienne, ce qui a laissé les mains libres à l’armée d’occupation pour faire absolument tout ce qu’elle voulait ailleurs.
Actes de vandalisme tout d’abord, dans les maisons et les divers bâtiments occupés. Impossible de chiffrer les destructions gratuites de mobilier, de télévisions, les dessins injurieux ou menaçants sur les murs… Des comportements dignes d’animaux. Le bâtiment qui abritait chaînes de télévision et de radio est ainsi décrit : « Des bouteilles de plastiques remplies d’urine trônent dans les bureaux ou gisent au pied des murs contre lesquels elles ont été lancées […]. Dans les studios, les régies, aucun matériel n’a échappé aux coups des soldats. Au milieu du hall, une boîte de sardines flotte dans un vase. « Vous avez une jolie station, désolé pour les dégâts et n’oubliez pas de nourrir les poissons », indique en anglais une inscription collée tout à côté » (Le Monde des 5-6 mai).
Actes de violence, physique ou psychologique, à l’égard des populations civiles, dans toutes les villes. Et il fallait faire un exemple, ce fut le camp de réfugiés de Jénine, un des derniers bastions de la résistance palestinienne. On ne sait pas encore combien il y a eu de morts, on ne le saura sans doute jamais, mais nul doute qu’ils se comptent en centaines. Plus de 70 missiles ont été tirés depuis des hélicoptères Apache dans une superficie d’un hectare. Au moins 150 maisons ont été détruites à coup de bulldozer alors que les familles étaient encore à l’intérieur. Plusieurs témoins parlent de fosses communes recouvertes de béton, de camions frigorifiques évacuant des corps de femmes et d’enfants en direction de la vallée du Jourdain. Pour faire disparaître les preuves d’un massacre qui ne dit pas son nom.
A travers le monde, les populations ne sont pas restées silencieuses. En France, au Royaume-Uni, un peu partout en Europe, des manifestations ont regroupé à chaque fois des dizaines de milliers de personnes. Il y a même eu des manifestations aux États-Unis. Mais l’événement le plus marquant est bien sûr la mobilisation dans le monde arabe, avec des foules dans les rues d’Égypte, de Syrie, du Liban… et du Maroc, avec une manifestation de plus d’un million de personnes au début du mois d’Avril, manifestation que le premier ministre a tenté de récupérer en y participant avant de devoir la quitter tant la population lui a fait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu.
Devant cette crainte d’une déstabilisation de la région, les puissances occidentales et leurs alliés dictateurs arabes ont fait semblant de lâcher un peu de lest, avec le vote de diverses résolutions à l’ONU (qui ne seront jamais appliquées), un début de commencement de léger changement de ton de la part de l’Europe, et surtout la décision d’envoyer une commission d’enquête à Jénine, lieu sur lequel se cristallisait une partie de la colère des populations. On le sait maintenant, et on s’en doutait à l’époque, cette commission ne mettra jamais les pieds à Jénine car Israël n’en veut pas. Mais l’essentiel est acquis car l’orage est passé… et Yasser Arafat a été libéré !
A plusieurs reprises nous avions dénoncé le fait qu’Arafat et ses amis avaient des intérêts qui divergeaient de plus en plus de ceux de la population palestinienne. Les récents événements en sont une preuve éclatante. Dans son QG assiégé, Arafat n’avait ni eau ni électricité, mais cela ne l’a pas empêché de faire « juger » les assassins du ministre israélien du tourisme (adepte de l’épuration ethnique), membres du FPLP, de les condamner à des peines allant jusqu’à 18 ans de prison, et comme si cela ne suffisait pas, de les livrer aux États-uniens et aux Britanniques, avec dans le même paquet cadeau le secrétaire général du FPLP. Difficile par ailleurs de ne pas faire le lien entre la libération d’Arafat et l’annulation de la commission d’enquête sur Jénine, qui ont eu lieu le même jour.
Arafat a donc tout simplement échangé sa libération contre les membres du FPLP et contre la commission d’enquête. Peut-on imaginer pire trahison vis-à-vis du mouvement de libération national et plus généralement vis-à-vis de la population palestinienne ? Et pour ceux qui trouveraient ces mots trop durs, deux questions : Aurait-on imaginé, durant la deuxième guerre mondiale en France, des « résistants » qui auraient jugé et livré des militants responsables d’une opération visant un ministre d’extrême droite de la puissance occupante, opération pour venger l’assassinat de leur propre secrétaire général ? Et pourquoi, lors de sa « libération », Yasser Arafat s’est-il fâché tout rouge au sujet de Béthléem, sans avoir un seul mot au sujet de la commission sur Jénine ?
Comment, dès lors, envisager l’avenir ? L’opération militaire israélienne a atteint les 3 objectifs qu’Israël s’était fixée : atomiser la résistance palestinienne, placer les troupes autour des villes autonomes pour les encercler et y rentrer n’importe quand, et enfin obtenir tout d’Arafat et de l’Autorité Palestinienne. Bush a obtenu ce qu’il voulait, même si Sharon s’est montré un peu indiscipliné : le calme est revenu dans la région et tout est prêt (population à genoux et Arafat à plat ventre) pour des négociations et un plan de paix sous l’égide des États-Unis, leur laissant les mains libres pour venir bombarder les « Etats-voyous » du coin.
On peut déjà imaginer à quoi ressemblera le futur plan de paix : un « État » palestinien dans la Bande de Gaza (où il n’y a pas eu d’opération militaire d’aussi grande envergure qu’en Cisjordanie, et où l’Autorité n’a pas été complètement démantelée, ce qui est significatif), et quelques petits bantoustans en Cisjordanie entourés de camps militaires et de clôtures électriques. Les colonies de Cisjordanie ne seront pas démantelées, les réfugiés resteront des réfugiés, il n’y aura pas de continuité territoriale… Ce plan de paix sera une mascarade destinée à tout étouffer pendant l’été.
Alors que faire ? La population palestinienne est à bout de souffle, la résistance a été en grande partie écrasée, et la direction du mouvement national a une fois de plus trahi la population. Mais des décantations ont lieu au sein du mouvement national, que ce soit dans le Fatah de Yasser Arafat, dans le FPLP qui se radicalise de plus en plus, au moins dans le discours, et même au sein de l’Autorité Palestinienne. Il nous faut apporter notre soutien à ces militants qui tentent de construire une alternative fondée sur les aspirations et la mobilisation du peuple, continuer à construire la solidarité en France, dénoncer le futur plan de paix qui sera sans aucun doute en-deça des accords d’Oslo (qui étaient déjà des accords au rabais). Bref, renverser le rapport de forces afin que les Palestiniens ne soient pas une fois de plus sacrifiés dans le silence complice de l’opinion internationale.
Amélie Al-Jeit, [Saint-Denis]