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Bilan du mouvement anti-CPE

jeudi 11 janvier 2007, par JCR Région parisienne

Le mouvement de 2006 a été le plus grand mouvement de jeunes en France depuis Mai 68, mais il fut aussi plus que cela : il a ouvert une des trois crises politiques importantes qu’a connues le gouvernement actuel depuis 2005 (avec le "non" àla Constitution européenne et la révolte des banlieues).

Un mouvement exceptionnel

Une étape dans la reconstruction de la conscience

Ce mouvement a été l’occasion pour des milliers de jeunes d’accumuler une expérience de lutte exceptionnelle. Organiser une grève avec piquets, participer à des AG de masses, agir en commun avec des travailleurs, mettre en place des actions radicales… Cette expérience militante, et les discussions politiques qui ont eu lieu massivement dans ce cadre sont un acquis fondamental. Ces jeunes n’oublieront pas cette expérience. Ils ont fait l’expérience qu’il était possible de faire reculer un gouvernement comme celui de Villepin. Par-dessus tout, ce mouvement a été une démonstration éclatante que c’est la lutte qui paie.

A l’issue de plus de trois mois de mouvement et d’une véritable épreuve de force, le gouvernement a été contraint de reculer sur le CPE, mesure emblématique de sa politique libérale. Et même si le chômage et la précarité sont plus que jamais présents, cette évolution dans la conscience de millions de gens peut être décisive à l’avenir, car elle a commencé à redonner confiance dans l’action collective et a clairement décrédibilisé l’argumentaire libéral du gouvernement.

Les évolutions du milieu étudiant.

Entre 1995 et le mouvement de 2006, le salariat s’est énormément développé parmi les étudiants et les lycéens. Ce sont désormais quasiment les deux tiers des étudiants qui sont obligés de se salarier pour financer leurs études. 70% des jeunes commencent leur carrière professionnelle par un emploi précaire. La génération qui a aujourd’hui entre 16 et 26 ans sait qu’elle va moins bien vivre que celle de ses parents. Chez les jeunes des quartiers populaires, et notamment ceux issus de la colonisation, un sentiment d’absence de perspectives est désormais profondément ancré.

La structuration de la jeunesse par les organisations de jeunes est relativement faible, même si elle n’est pas inexistante : les organisations de jeunesse, et notamment l’Unef (seule organisation de jeunesse réellement nationale) ont joué un rôle décisif dans le démarrage du mouvement. Des luttes massives de la jeunesse ont eu lieu presque chaque année depuis 2002…

Et le mouvement de 2006 ressemble à une synthèse des points forts des mouvements des précaires, du mouvement étudiant, du mouvement lycéen et du soulèvement des banlieues : il a profité de la capacité d’organisation du mouvement étudiant, il a emprunté des éléments de radicalité au mouvement lycéen et à la révolte des jeunes des quartiers, tout en tenant quasiment dès le départ pour acquis que le lien avec le monde du travail serait décisif.

La politisation du mouvement.

Les étudiants, et dans une moindre mesure les autres jeunes mobilisés, ne se contentaient pas en AG de discuter des actions à mener le lendemain : très rapidement, pour se massifier et conquérir une légitimité auprès de l’opinion publique, le mouvement a élaboré des arguments solides contre la précarité et le chômage… Les débats de fond sur la précarité, l’exploitation, le racisme, les réformes libérales se sont multipliés dans les AG. La question de la construction d’une autre société, fondée sur autre chose que la recherche du profit maximum, a été posée et discutée par des milliers d’étudiants. De plus, un sentiment de défiance par rapport aux institutions s’est imposé au cours du mouvement, qui n’a pas perdu de son ampleur après le vote de la loi. L’idée communément admise dans le mouvement ouvrier qu’une fois une loi votée, on ne peut plus rien y faire a été battue en brèche de manière éclatante. Les manœuvres de Chirac, notamment lors de son apparition télévisée, n’ont en rien ralenti le mouvement. Les affrontements avec la police n’ont pas toujours été réservés à une minorité, et les actions « radicales » ont souvent impliqués des centaines, voire des milliers de jeunes.

Le mouvement, terrain d’une lutte entre gauche institutionnelle et gauche révolutionnaire

Durant le mouvement, le principal clivage s’est fait autour d’une question : fallait-il pousser la crise jusqu’au bout ou se borner à un mouvement qui se donne uniquement comme objectif le retrait du CPE et qui ne bouscule pas l’ordre établi ? Dès le début les révolutionnaires ont défendu une orientation dont les fondements étaient : les blocages, l’auto-organisation et le lien avec les travailleurs.

La grève avec blocage

Le blocage des universités, et dans une moindre mesure des lycées, a été le moyen de massifier le mouvement : au départ, seuls des groupes minoritaires menaient le travail d’information. Dès que les AG ont dépassé un certain seuil, le blocage a été le moyen de mettre en place des AG massives, de plusieurs milliers de personnes dans de nombreuses universités. En effet, avec la dégradation de la situation sociale des étudiants, et le durcissement du contrôle des absences (rater trois TD équivaut souvent à rater tout un semestre d’études...), les obstacles à un réel droit de grève sont beaucoup plus importants que par le passé. Empêcher les cours de se tenir était la seule manière de rassembler tous les étudiants.

Les piquets étaient aussi un moyen de bloquer entièrement le fonctionnement des universités. C’était une tentative de montrer l’exemple d’une lutte radicale à la population, comme une invitation à ne pas faire de cadeau au gouvernement. On retrouve cette volonté de s’affronter au pouvoir dans la multiplication des actions de blocages de gares, d’occupations des antennes locales du MEDEF…

L’auto-organisation

Les AG se sont tenues dans un très grand nombre d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur tels que les IUT (il y a eu jusqu’à 144 délégations de facs et établissements d’enseignement supérieur en grève en coordination nationale). Les AG dans les lycées furent beaucoup plus rares, l’auto-organisation moins développée, en bonne partie du fait que, contrairement à l’an passé, les forces organisées étudiantes n’ont pas aidé les lycéens.

Ces AG furent massives : à Rennes 2 ou Poitiers, elles ont atteint les 5 ou 6000 étudiants. Dans l’ensemble des universités, ce furent les plus grosses AG depuis le mouvement de 1986, voire depuis toujours (à Orsay, les AG ont été plus massives qu’en 1968…). Décidant effectivement des actions à mener, les organisations syndicales et politiques se trouvant obligées de respecter leurs décisions, elles élirent des délégués, qui pendant plus de deux mois se sont réunis toutes les semaines en une coordination nationale. Cette structuration nationale du mouvement a permis aux jeunes en lutte de définir par eux-mêmes une stratégie nationale de construction du mouvement. Non seulement cela a donné à la jeunesse la possibilité de faire sa propre expérience d’une démocratie radicale et un apprentissage politique inestimable, mais a également permis au mouvement de ne pas se laisser enfermer dans la stratégie d’épuisement des directions syndicales : une manifestation de temps en temps en espérant négocier le retrait du CPE avec le gouvernement. Cette coordination nationale a voté chaque semaine des appels qui s’adressaient aux étudiants, aux jeunes et aux travailleurs. Dans ces appels, on trouve une stratégie combinant deux éléments : d’un côté, dès que le mouvement a été massif dans les universités et les lycées, un appel clair à la grève générale, de l’autre, des propositions concrètes pour la construction de cette grève générale, en formulant étape par étape une tactique d’extension de la grève par des appels de plus en plus rapprochés à des manifestations et à des grèves communes avec les salariés, à des dépôts de préavis de grève pour permettre aux équipes de salariés les plus combatifs de se mettre en grève reconductible… C’est la coordination qui a impulsé les appels aux deux grandes journées des 28 mars et 4 avril, avec trois millions de manifestants à chaque fois.

La coordination a également élu des porte-parole pour représenter le mouvement, notamment pour s’exprimer auprès des médias et des organisations syndicales, ce qui indique une conscience chez les jeunes mobilisés de la nécessité de contrôler l’expression du mouvement, la volonté de combattre toute récupération et le quasi-monopole médiatique de la parole que s’était arrogé Bruno Julliard, président de l’UNEF.

Le lien avec les travailleurs

Dès le départ, il existait parmi les jeunes mobilisés une conscience diffuse que nous ne pourrions pas gagner seuls : une leçon tirée de l’échec des mouvements sociaux depuis 2003. Sous l’impulsion des militants d’extrême-gauche (LO, Fraction de LO, LCR et JCR), ce sentiment se transforme en une démarche consciente et active. Ces militants qui ont des liens politiques avec des militants actifs dans les entreprises organisent des distributions de tracts à l’entrée des entreprises, des AG communes, et même des blocages d’entreprises menés en commun avec les salariés.

L’objectif des étudiants était d’entraîner les travailleurs dans une grève générale, c’est-à-dire un combat frontal contre le gouvernement. Les grèves reconductibles furent ponctuelles, mais il est intéressant de noter qu’elles se sont déclenchées là où le contact entre jeunes et travailleurs a été le plus suivi et où le travail auprès des salariés sur le CPE et la situation politique avait été combiné à une agitation sur des questions sectorielles (La Poste dans le 92 par exemple). C’est bien sous la menace d’une extension du mouvement aux travailleurs, d’une grève générale que le gouvernement a cédé. Ces trois éléments ont fait la nature du mouvement. Les seuls courants organisés à les avoir défendus au début, pendant et après le mouvement, ce sont les révolutionnaires.

Le rôle des révolutionnaires

Les révolutionnaires et d’autres courants combatifs ont joué un rôle important dans l’extension des blocages. Leur nécessité a été défendue systématiquement du fait des bilans tirés des mouvements de novembre-décembre 2003 et du mouvement lycéen de 2005.
Ce rôle des révolutionnaires fut décisif dans la construction de la coordination nationale. Ce type de coordination avait déjà existé dans les précédents mouvements de la jeunesse scolarisés, mais son apparition avait été tardive, les coordinations n’étaient pas assez structurées et les réformistes hésitaient toujours à s’engager réellement dans ces cadres où leur domination est fortement contestée. Lors de ce mouvement, les JCR ont pris l’initiative, par l’intermédiaire de leurs militants de Toulouse impliqués dans la section locale de SUD-Etudiants, de mener la bataille pour la convocation rapide d’une coordination nationale dès que les premières universités furent en grève. La direction de l’UNEF, qui pesait à ce moment là de manière importante dans le foyer de la mobilisation (Rennes 2), fut obligée d’accepter la convocation d’une première coordination nationale étudiante à Rennes dès le 18 février, 10 jours après que Rennes 2 se fut mise en grève. Lors de cette coordination, une bataille s’engagea pour que la coordination suivante se réunisse dès la semaine suivante à Toulouse, pour accélérer la construction du mouvement et lui donner une dimension politique. La direction de l’UNEF boycotta la coordination de Toulouse, qui pourtant fut plus large que la précédente. Non seulement la coordination nationale acquiert un rythme de réunion hebdomadaire, mais la direction de l’UNEF accepta à partir de ce moment de construire le mouvement dans l’unité et au sein des cadres d’auto-organisation.

Une autre bataille importante a été menée conjointement par les JCR et la Fraction de LO : la bataille pour la construction d’une réelle direction du mouvement. Concrètement, il s’agissait d’élire un comité de grève national et non de simples porte-parole avec mandat impératif, qui restreignait les possibilités de réaction face au gouvernement et aux directions syndicales. Ils n’étaient pas mandatés pour oeuvrer entre deux coordinations à structurer le mouvement, à renforcer les liens entre les différents lieux et secteurs de lutte, c’est une des raisons pour lesquelles le président de l’UNEF a pu apparaître comme le porte-parole naturel de la mobilisation. Cette bataille pour la mise en place d’un comité national de grève fut perdue.

Le rôle des révolutionnaires a été certainement irremplaçable pour mener ce qu’on peut appeler une « politique d’ensemble ». Dès le début du mouvement, une aile droite a existé (organisée autour de la direction de l’UNEF) qui ne menait pas une politique permettant de gagner. Assez rapidement, une aile « gauchiste », aux contours mouvants mais liée aux milieux les plus radicalisés, a également pesé, exprimant la volonté d’en découdre avec le pouvoir sans se préoccuper d’entraîner la grande masse des jeunes puis des travailleurs. Les révolutionnaires, notamment les JCR et la Fraction de LO, ont systématiquement proposé une orientation qui tentait et souvent réussissait à prendre en compte les différents niveaux de mobilisation et de conscience pour entraîner l’ensemble vers une confrontation avec le gouvernement et la classe dirigeante.

Et celui des réformistes

Au début de la mobilisation, les réformistes ont constitué les cadres unitaires qui lancèrent la mobilisation (Intersyndicale des confédérations, collectif unitaire national des organisations de jeunesse). Ils ont construit la mobilisation et les cadres unitaires ont joué un rôle primordial pour lancer une campagne de masse d’information et de mobilisation sur le CPE (et aussi parfois sur la Loi sur l’Egalité des Chances) sans laquelle les premières AG n’auraient pas pu avoir lieu. Mais les courants réformistes ont tout fait pour que la mobilisation ne déborde pas les organisations et se sont montrés très timorés sur les questions fondamentales (blocages, coordination nationale). Sur la question des revendications, tout a été fait pour les restreindre à la question du CPE afin de ne pas prendre le risque d’une extension et d’une radicalisation du mouvement. Les dates de mobilisation fixées par les confédérations au début de la mobilisation étaient incroyablement tardives : la première a lieu le 7 février, plusieurs jours après le début des discussions parlementaires de la LEC, et la suivante un mois après, le 7 mars, alors que Rennes 2 et plusieurs autres universités étaient en grève depuis un mois !

Au cœur du mouvement, les courants réformistes dans la jeunesse (direction de l’UNEF, SOS Racisme, JC...) n’ont pas réellement eu de politique propre. Ils ont fait souvent preuve de suivisme (ils ne se sont pas opposés aux liens avec les travailleurs, mais n’ont absolument rien fait pour les favoriser). Ces courants ont, conjointement avec les « gauchistes », mené bataille contre l’élection d’un comité de grève national. Aujourd’hui, il s’agit pour eux de se construire et de peser sur les élections de 2007, plutôt que de s’appuyer sur l’acquis du mouvement pour préparer un prochain affrontement social.

Evidemment, le mouvement n’a pas été simplement un dialogue entre réformistes et révolutionnaires : le gauchisme a eu un poids important, perdant de vue la nécessité d’un mouvement de masse le plus unitaire possible. Mais la bataille s’est nouée dans le mouvement sur une question fondamentale : à partir de la question du CPE, fallait-il uniquement un mouvement revendicatif de la jeunesse appuyé ponctuellement par les salariés pour faire pression sur le gouvernement jusqu’à ce qu’il retire cette mesure ? Ou fallait-il construire un mouvement qui entraîne les grandes masses des jeunes et des travailleurs dans un mouvement de grève générale qui balaye le gouvernement et approfondisse la crise sociale et politique ?

Il est à noter que ces dernières années, dans les mobilisations de jeunes les rapports de forces entre réformistes et révolutionnaires se sont améliorés en faveur de ces derniers : lors du mouvement lycéen de 1998 par exemple, la FIDL (« syndicat » lycéen sous la coupe de la social-démocratie) pouvait se permettre de convoquer sa propre coordination nationale à côté et contre la coordination nationale unitaire construite à l’initiative des radicaux, puis négocier avec le Ministre de l’éducation pour finalement appeler à rentrer à la maison, lors du mouvement lycéen de 2005 et lors du mouvement de 2006, cela leur a été totalement impossible… Et c’est l’orientation des révolutionnaires qui a eu le plus d’écho, même sil serait très exagéré de dire qu’ils ont dirigé et maîtrisé de bout en bout la mobilisation.

Préparer les prochaines batailles

Le retour à l’ordre

La mobilisation a gagné sur le CPE et a fortement déstabilisé le gouvernement. Elle est allée beaucoup plus loin que ce que les courants réformistes auraient voulu. Cependant, la grève générale n’a pas eu lieu, la précarité et le gouvernement sont toujours là, et ce dernier est toujours en capacité d’agir... Villepin est sorti « vivant », bien que très affaibli, d’un mouvement qui aspirait à le démettre. Comment cela se fait-il ?

Il faut d’abord rappeler que le mouvement a explicitement posé la question de la grève générale et du départ du gouvernement : ces deux idées-clés pour les révolutionnaires dans la situation actuelle ont été discutées à une échelle de masse pendant plusieurs semaines. Ce n’est pas rien, et c’est un acquis qui va peser à l’avenir. Mais ces idées n’ont pas été suffisamment reprises à leur compte en profondeur par les jeunes et par les travailleurs, et ce n’est pas uniquement dû aux directions bureaucratiques. Une fois le retrait du CPE acquis, la majorité des jeunes, sans même parler des travailleurs, s’est de nouveau tournée prioritairement vers les soucis quotidiens, les examens en premier lieu. L’exigence d’un affrontement avec le gouvernement n’a pas paru suffisamment vitale aux jeunes (même si beaucoup étaient d’accord avec cette perspective) pour continuer jusqu’au bout. Pour les salariés, la mobilisation est majoritairement restée un mouvement de solidarité avec les jeunes plutôt qu’une lutte commune contre un ennemi commun. C’est cela qui a constitué le principal obstacle politique au déclenchement massif de grèves reconductibles chez les salariés.

Les autres limites du mouvement

Le mouvement n’est pas parvenu à se doter d’une direction suffisamment visible pour réellement s’imposer auprès du public et des syndicats de travailleurs : ce n’est qu’à grand peine et tardivement que des représentants de la coordination nationale furent reçus furtivement par l’intersyndicale nationale.

Une autre limite importante de la mobilisation a été l’insuffisance du lien avec la jeunesse des quartiers populaires. Un véritable fossé s’est creusé entre la jeunesse des quartiers, dont la famille est souvent originaire des anciennes colonies françaises, et le reste de la population. Lors du mouvement, cela s’est traduit par des affrontements au cours des manifestations impliquant des jeunes des quartiers. On a beaucoup fustigé les jeunes « casseurs de banlieues ». Mais il faut rappeler que, si des jeunes des quartiers sont effectivement venus dans le but d’agresser les manifestants, ils n’étaient pas la majorité, et que les réactions d’hostilité de certains cortèges voire la chasse au jeune banlieusard de certains services d’ordre de syndicats ont attisé les divisions entre une partie des manifestants et des jeunes qui étaient venus pour manifester mais qui ne se reconnaissaient pas forcément d’emblée dans la manière dont était organisée la mobilisation. Il était possible de « gagner » certains de ces jeunes à la manifestation et aux cortèges organisés, et d’isoler les vrais fauteurs de troubles, pour peu qu’on comprenne qu’ils font partie du même camp social, et qu’il faut faire un effort pour s’adresser à eux. Dans le même temps, il ne fallait pas céder aux dérives angéliques : "vu qu’on a tous des intérêts communs, ne faisons pas de service d’ordre, cela divise"... La meilleure manière de faire est d’avoir des cortèges structurés avec des services d’ordre efficaces, et d’établir le contact à la base entre jeunes étudiants et jeunes des lycées des différents quartiers d’une même région, pour faire des AG, des actions communes et aller aux manifestations ensemble. C’est ce qui a été fait à Saint-Denis ou à Nanterre par exemple, sans oublier les lycéens des lycées populaires (dont un nombre significatif de lycées professionnels) qui venaient d’eux-mêmes en cortège dans les manifs. Même si la dimension raciste de la loi sur l’Egalité des chances n’était pas toujours clairement perçue et mise en avant, il a existé une véritable aspiration chez les jeunes mobilisés à prendre en compte la situation particulière des jeunes des quartiers. L’idée que les intérêts sont communs était largement partagée (la revendication d’amnistie des jeunes des quartiers incarcérés suite aux émeutes fut souvent votée en AG).

Cependant, le fossé n’a que commencé à être comblé, et il reste encore beaucoup à faire pour que la « fracture coloniale » soit surmontée et que, quelles que soient les origines, les jeunes se considèrent comme ayant fondamentalement les mêmes intérêts. Le travail militant sur la durée dans les lycées populaires constitue à ce titre une priorité pour les jeunes révolutionnaires.

Les trois revendications centrales étaient : retrait du CPE, du CNE et de la loi sur l’Egalité des chances. Il y avait une logique profonde derrière cela : se battre contre le CNE signifiait ne pas se limiter à défendre les jeunes salariés ou les seuls futurs salariés et tendre à chercher la solidarité avec tous les travailleurs ; exiger le retrait de la loi sur l’Egalité des chances signifiait viser l’ensemble de la politique du gouvernement. Mais le mouvement a tâtonné avant de se centrer consciemment sur ces revendications, et la tentation de voter des plateformes de revendications à rallonge sans dégager le sens global d’une mobilisation (l’affrontement contre un gouvernement et contre la précarité) a été presque constante.

Le mouvement a connu une répression d’une ampleur sans précédent. Plus de 4000 arrestations, 3500 gardes à vue, 1270 personnes traduites devant la justice, 67 peines de prison ferme ... Ces jeunes n’ont pas été poursuivis et condamnés parce qu’ils étaient des délinquants, mais parce qu’ils faisaient partie d’un mouvement menaçant pour la classe dirigeante… La légitimité de l’Etat policier est si forte que la répression paraît « normale » pour la majorité de la population. Il reste là aussi un travail gigantesque de solidarité et de conviction politique à accomplir. De même, peu nombreux furent ceux qui se sont mobilisés pour exiger des conditions d’examens et de cours en fin d’année ne constituant pas une punition pour les jeunes mobilisés.

Les outils pour de futures victoires

Après ce mouvement, une des tâches fondamentales consiste à se battre pour que l’ensemble des jeunes qui se sont mobilisés s’organisent tous ensemble sur la durée, quelles que soient les différences d’opinions, exactement comme dans les AG, et pour agir aussi bien sur les questions globales que sur les conditions de vie concrètes. Cela veut dire notamment se battre pour un syndicalisme étudiant réunifié et offensif, tirant les bonnes leçons de la mobilisation de cette année. Cela prendra évidemment du temps mais c’est indispensable.
Construire une organisation de jeunesse révolutionnaire autonome doit permettre aux révolutionnaires d’intervenir de manière coordonnée à l’échelle nationale dans ce type de mouvement, à la hauteur de leur potentiel et de leurs nouvelles responsabilités. Ce mouvement montre qu’il existe des dynamiques de conscientisation et de mobilisation propres à la jeunesse. Il montre aussi que les principaux enjeux dans la construction de la mobilisation (blocage, auto-organisation, liens avec les salariés, revendications...) sont de fait des clivages entre réforme ou révolution. Pour les révolutionnaires, la conséquence logique est de construire une organisation de jeunesse autonome, qui soit capable de construire ces mobilisations et d’y intervenir en poussant à tisser des liens avec les salariés et à aller jusqu’au bout de l’affrontement avec la classe dominante. L’espace important dont on disposé les révolutionnaires dans cette mobilisation ainsi que les limites de leur intervention sont là pour témoigner de la nécessité et de la possibilité d’une organisation de jeunesse révolutionnaire de masse.

L’impact international de la lutte des jeunes en France, ne peut que donner confiance : non seulement le cycle ouvert en 1995 n’est pas fermé, mais on peut commencer à espérer l’arrivée de premières véritables victoires pour les jeunes et les travailleurs. Le mouvement étudiant qui se déroule aujourd’hui en Grèce va dans ce sens. Passer à la contre-offensive, regagner des droits devient pensable. On peut gagner !

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