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Màªme patron, màªme combat, des papiers pour tous !

Interview d’Amadou, gréviste de BMS

octobre 2008, par Adrien

RED : Comment voyais-tu la
France avant d’y venir ?

Amadou : On me disait qu’en France on
trouvait de l’argent. Qu’à la différence du
Mali, on pouvait vivre bien avec un salaire.
J’avais beaucoup discuté avec des gens
qui vivaient ou avaient vécu en France.
J’ai tout fait pour venir. Je connaissais la
situation avant de venir, les difficultés pour
les travailleurs immigrés, la situation des
sans-papiers... Mais je n’ai jamais douté. Je
devais venir pour trouver du travail.

RED : Comment s’est passée ton
ar rivée en France ?

Je suis venu avec un visa touriste. J’avais
de la famille pour m’héberger, notamment
un oncle qui a des papiers depuis 1982.
Mais pendant trois ans, je n’ai pas trouvé
de travail. Ca a été la période la plus difficile
pour moi. Je savais que ce serait dur,
qu’on ne trouvait pas toujours de travail,
mais je ne pensais pas que ce serait si
long.
Lorsque j’ai entendu parler de l’entreprise
BMS [entreprise de démolition,
ndlr.], qui embauchait des ouvriers sanspapiers,
je m’y suis rendu. Mais ils m’ont
refusé deux fois avant de m’embaucher.

RED : Le patro n savait que tu
étais sans-papier ?

Oui, bien sûr. Mais ce n’est pas pour
cela qu’il m’a refusé deux fois. Il embauche
selon ses besoins, selon le travail. Avoir
des sans-papiers ne le dérangeait pas, au
contraire. Il jouait sur la situation.
Cela permet de ne pas signer de contrat
de travail, de nous faire travailler aussi
longtemps qu’il veut, de ne pas toujours
nous payer à l’heure, de ne pas payer les
transports, de ne pas nous donner de
congés payés, de ne pas payer de charges,
notamment à la Sécu... Si tu n’es pas d’accord,
tu es à la porte le lendemain.
Le patron m’a offert une formation pour
travailler sur les machines, mais il ne m’a
jamais augmenté en cinq ans de boite !
On était tous au SMIC, mais en faisant
des horaires impossibles. On travaillait sur
les chantiers six jours sur sept, du matin
jusqu’à la tombée de la nuit, quand ça
devenait vraiment impossible d’y voir.
Le pire, c’est lorsqu’on tombe malade :
on doit se soigner tout seul. Et quand on
revient, on n’est pas sûr de retrouver son
emploi. Pourtant, on attrape facilement
des maladies dans ce genre d’emplois :
on travaille dans l’amiante, dans le plomb,
dans la poussière... Et bien entendu, sans
les protections réglementaires !
En France, les pauvres qui restent toujours
dans la merde. Quand tu fais un
petit truc, tu vas en prison. Mais le patron,
lui, a réussi à se sauver. Il a liquidé sa
société quand la grève se durcissait. Tout
le monde pouvait alors voir nos conditions
de travail. La télévision a montré le chantier,
l’amiante... Mais le patron n’a pas été
inquiété.
Avant la grève, un inspecteur du travail
était venu. Il nous avait interrogés sur nos
conditions de travail, il a constaté... Et puis
on n’a rien vu après. Il nous a dit que si on
fermait l’entreprise on perdrait tout. C’était
du chantage, il était du côté du patron.

RED : Comment la grève s’est elle
déclenchée ?

C’était pendant la deuxième vague de
grèves de travailleurs sans-papiers [en
mai - juin derniers, ndlr.]. J’ai proposé
qu’on essaye nous aussi. On voulait simplement
que les conditions de travail de
de vie changent un peu et on avait vu
que certains sans-papiers obtenaient leur
régularisation. Avec six camarades, nous
sommes allé voir la CGT. On nous a dit
que si nous étions au moins trente à suivre
la grève _ sur le chantier, à Nanterre
(92), nous étions entre 70 et 130 selon les
périodes.
Deux semaines plus tard, la CGT nous
a recontactés : on nous a dit de venir au
siège pour discuter. Là, on a commencé à
organiser la grève.
Nous avons appelé les collègues pour
leur proposer la grève. Nous étions alors 32
à la suivre. 14 nous ont rejoins après. Mais
des ouvriers qui n’étaient pas d’accord ont
prévenu le patron. Il est arrivé avant nous
sur le chantier et a bloqué l’entrée avec sa
voiture. Nous sommes restés face à lui de
7h du matin jusqu’à 13h. Il a alors accepté
de nous laisser entrer sur le chantier et de
discuter avec nous.
Nous lui avons dit que nous exigions
des contrats de travail. Nous voulions
aussi qu’il s’engage auprès de la Préfecture
à nous déclarer et à payer les taxes si
nous étions régularisés. Il risquait gros,
alors il a accepté tout cela. Nous avons
aussi dit que nous serions en grève jusqu’à
notre régularisation, comme l’étaient
d’autres travailleurs dans des entreprises.
Le patron a alors décidé de laisser traîner
ses engagements. Et alors que nous occupions
le chantier, il nous a coupé l’eau et
l’électricité ! Son but était de nous faire
perdre la grève, car il ne voulait pas suivre
ses engagements.

RE D : Comm ent avez-vous
tenu ?

Nous avons eu beaucoup de soutiens
du début à la fin. Des étudiants de la fac
de Nanterre, des associations de la ville,
la CGT, des habitants nous apportaient de
l’eau, de la nourriture... L a mairie [PCF,
ndlr.] aussi nous a aidé en nous apportant
des repas. La LCR nous apportait du pain
le matin. Nourrir 46 personnes, ce n’est
pas facile, mais il y avait de la bouffe 24h
sur 24 ! Les gens du quartier ont tout fait
pour nous. Certains nous faisaient la lessive,
Emaüs nous a donné des couvertures.
Grâce à eux, on n’a pas fatigué ! C’était
pourtant ce que voulait la Préfecture...
Cette solidarité nous a permis d’agir.
Nous avons pu faire nos propres tracts,
nos pétitions, les faite tirer par les associations
et partis qui nous soutenaient et les
distribuer avec les militants...

RED : Comment la grève s’estelle
arrêtée ?

Nous avons obtenu 37 régularisations
(sur 46) dans un premier temps. Mais la
grève avait duré trop longtemps. Nous
voulions continuer jusqu’à la dernière
régularisation, mais avec la liquidation
de l’entreprise, nous avons eu peur d’être
expulsés du chantier par la police. Tout
le monde a été d’accord pour l’arrêt de
la grève, même les 9 qui restaient sanspapiers.
Quand nous avons décidé cela,
nous avons demandé un rendez-vous à la
Préfecture pour eux. Nous n’avons arrêté
que la veille du rendez-vous. L’entretien à
la Préfecture a duré une heure. Deux des
derniers sans-papiers ont été régularisés.
Mais nous n’avons pas laissé tomber les
7 autres. On se réunit toutes les semaines
avec des militants qui nous ont soutenus.
Nous continuons à distribuer des tracts
dans les gares, à la fac, dans les cités, lors
de la fête des associations, à faire des
actions à la Préfecture...
Personnellement, j’ai eu la chance
d’être régularisé. J’ai une carte de séjour
d’un an. Je dépose des C V, de cherche un
emploi. Je n’en ai pas encore trouvé. C’est
difficile de trouver, et je me dis que si on
me retire mes papiers dans un an, ce sera
encore plus dur qu’avant pour moi. Mais
en attendant, je suis plus tranquille. Je vais
pouvoir rentrer au Mali voir ma famille et
revenir en toute légalité. Avant, je ne pouvais
pas sortir de France.
Pour ceux qui sont sans-papiers, la
situation devient encore plus difficile. De
plus en plus de patrons ont peur des
grèves.

RED : Regrettes-tu d’être venu en
France ?

J’ai regretté dans la période où j’étais
au chômage, mais même si c’est dur de
travailler ici, cela me permet d’envoyer
de l’argent à ma mère et à mes frères au
Mali. Chez nous, quand quelqu’un part en
France, tout le monde est content pour lui.
On sait qu’on va galérer, qu’on n’aura pas
ce qu’on veut... Mais de toutes façons, pour
obtenir quoi que ce soit, il faut lutter.

RED : Que penses-tu de la politique
de la France vis-à-vis des Africains ?

Il est de plus en plus difficile d’avoir un
visa. Les frontières se ferment. On devrait
au moins régulariser ceux qui sont là ! La
France est un grand pays... Qui a colonisé
la moitié de l’Afrique. Depuis qu’elle nous
a colonisés, elle nous considère comme
des chiens ! Les Français vont chez nous
facilement, ils peuvent prendre nos richesses,
faire ce qu’ils veulent chez nous... En
Côte d’Ivoire, au Gabon, au Zaïre... Des
Français amassent des sous, personne
ne les embête. Ca devrait être donnant
– donnant... Mais un Africain peut vivre
10 ans en France et rester sans-papier.
On travaille toute la nuit, toute la journée,
mais on peut se faire arrêter sans avoir rien
fait de mal.
La politique de la France, c’est de diviser
les pays. Si l’un s’en sort, elle déclenche
des guerres. La Côte d’Ivoire, le Congo,
l’Angola, le Rwanda... Ces pays ont des
richesses. Ils ont de l’or, du pétrole, des
diamants... La France les prends et laisse
la souffrance aux populations.
Notre continent n’est pas considéré
comme les autres. La France n’écoute que
les autres puissances. En Afrique, on se dit
qu’elle est trop forte pour nous. On hésite
à lutter, car parfois on perd en se battant...
Mais peut-être qu’on gagnera un jour !

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