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Ecole & Capitalisme

vendredi 12 janvier 2007, par JCR-RED

On nous présente souvent l’Ecole comme un endroit particulier, en dehors de la société. Même si beaucoup de monde reconnaît que l’égalité des chances n’existe pas, on a souvent tendance à présenter l’Ecole comme un « Havre de paix » où nous pourrions apprendre, indépendamment des pressions de la société. L’école est un acquis social mais aussi un outil de la bourgeoisie pour contrôler la jeunesse et en faire une main-d’oeuvre adaptée aux besoins des patrons.

La création de l’Ecole Publique date de 1881. La France était depuis peu (septembre 1870) sous la IIIe République qui faillit être renversée par la Commune de Paris entre le 18 mars et le 24 mai 1871. Alors qu’auparavant l’accès à l’Ecole était réservé à une élite, Jules Ferry défendit la mise en place d’une école publique, gratuite, obligatoire, puis laïque : « Dans les écoles confessionnelles les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l’Ancien Régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 »(1). Le but n’était pas d’élever le niveau d’instruction de la population mais de maintenir au pouvoir une classe dominante qui était bousculée d’un côté par l’Église catholique et de l’autre par une classe ouvrière qui, inspirée par l’expérience enthousiasmante de la Commune, commençait à s’organiser en syndicats et partis ouvriers contre l’oppression capitaliste. Jules Ferry s’adresse ainsi aux instituteurs de l’époque : « Faire aimer la République est une politique nationale : vous pouvez, vous devez la faire entrer sous les formes voulues dans l’esprit des jeunes enfants. »(1)

L’accès massif – et inégal ! – à l’enseignement

Après 1945 certains ont cru à une « démocratisation » de l’enseignement. En effet, le nombre de lycéens et d’étudiants était passé de 100 000 en 1945 à 500 000 en 1967 (2). Elle a eu lieu dans le contexte économique et historique des Trente Glorieuses. Cette période comprise entre 1945 et 1973 peut se caractériser par la combinaison de deux éléments : 1) une croissance économique sans précédent dans l’histoire du capitalisme entraînant le plein emploi. 2) un changement qualitatif important dans la production : l’essor de la haute technologie exigea une force de travail de plus en plus qualifiée. Voilà pourquoi la classe capitaliste au pouvoir permit cette ouverture des lycées et des universités aux classes moyennes et populaires : l’expansion capitaliste coïncidait avec la nécessité d’une main-d’oeuvre volumineuse et plus qualifiée. Ainsi on vit pendant cette période de très fortes augmentations des budgets alloués à l’Education, qui furent gelés lors de la crise économique de 1973.

Peut-on parler de « démocratisation » ? Aujourd’hui comme il y a trente ans, dans 8 cas sur 10, un enfant de cadre obtient un diplôme plus élevé qu’un enfant d’ouvrier, ce qui signifie que le lien entre niveau social et niveau du diplôme n’a jamais disparu (3). Il s’agissait donc plutôt d’une massification de l’enseignement.

Les filières sexuées, c’est naturel ?

Les classes sociales ne sont pas les seules à se reproduire à l’école. Les filles sont statistiquement meilleures à l’école que les garçons, toutes matières confondues. Pourtant, elles sont plus souvent orientées, dès le collège, vers des options ou des filières littéraires, où les débouchés professionnels sont plus restreints et moins prestigieux que dans les filières scientifiques. Cette tendance s’accentue à l’université : les études supérieures sont le lieu d’une inversion des excellences entre hommes et femmes. Malgré leurs meilleurs résultats, les femmes vont moins vers les filières sélectives, notamment les filières scientifiques, et plus vers les filières qui mènent au service public, notamment le professorat.

Il faut lier cela au fait que, si beaucoup de femmes réussissent en premier cycle de fac, elles atteignent moins facilement le 3e cycle. En effet, la division traditionnelle des rôles sociaux au sein de la famille entre l’homme et la femme s’observe aussi chez des étudiants. Les étudiantes partent plus tôt du domicile parental que les étudiants. Parmi les étudiants qui sont partis de chez leurs parents, des étudiantes s’occupent plus de leur linge que les étudiants ; les deux tiers des étudiantes font la cuisine contre la moitié seulement des étudiants ; les femmes ont aussi des enfants plus tôt, ce qui entraîne l’arrêt d’études au moins pour une période et la difficulté à les reprendre après, avec un enfant à charge. Toutes ces tâches privent les étudiantes d’une partie du temps et de la disponibilité que les étudiants consacrent aux études et à leur insertion professionnelle.
Si ces inégalités reflètent une construction sociale en partie extérieure à l’école, aucune mesure n’est prise pour changer cette situation, souvent encouragée par les profs, l’administration et les employeurs.

Bientôt privatisée, professionnalisée... : L’école par les patrons, pour les patrons !

Depuis une dizaine d’années, c’est un processus inverse de celui des Trente Glorieuses qui se met en place : tous les rapports gouvernementaux sur l’éducation et l’emploi (Thélot, Goulard, Hetzel...) expliquent qu’il y a aujourd’hui trop de diplômés alors que les entreprises sont à la recherche d’employés peu qualifiés. Aussi les dernières réformes de l’éducation (loi Fillon, LMD...) prônent le « retour aux fondamentaux » pour l’école primaire (« lire, écrire, compter »), le collège et le lycée (anglais et informatique) ; et pour la fac, encouragent le développement de filières professionnelles courtes (Licence). Au centre de ces réformes et des prochaines se trouve la gestion de la main d’œuvre, de sa formation et de son entrée dans le monde du travail.
Le fonctionnement actuel de l’école et de l’université est loin d’être idéal pour les étudiants. Il pose aussi un problème aux entreprises et aux patrons : les filières où s’orientent les étudiants ne sont pas adaptées aux secteurs qui ont besoin de recruter, les niveaux d’études sont trop élevés, l’université n’enseigne pas (ou pas assez) aux étudiants l’esprit de compétition, la flexibilité qu’on attendra d’eux dans une entreprise.

Ces mesures consistent donc à faire de l’étudiant une main d’œuvre, de l’adapter à l’entreprise, par le contenu mais aussi par le fonctionnement des universités. Elles prévoient donc non seulement une transformation des enseignements (plus de licences pros, plus de stages etc…) mais aussi une autonomisation et une mise en concurrence des étudiants entre eux et des universités entre elles (sélection, parcours individualisés…). Il s’agit d’une privatisation de l’université qui doit permettre aux entreprises d’avoir une place plus importante dans la gestion de l’université et à l’Etat de faire des économies sur le budget
consacré à l’éducation.

Moins que jamais l’école, en particulier l’université, ne pourra être un moyen de s’émanciper intellectuellement, d’avoir une vision critique du monde, ou de profiter de « l’ascenseur social ».

Cette privatisation et cette professionnalisation de l’enseignement s’accompagnent d’une offensive idéologique pour le retour aux valeurs républicaines traditionnelles et nationales. Le meilleur exemple en est la loi contre le port du voile à l’école, en 2003. Contrairement à la présence d’aumôneries catholiques au coeur de certains établissements publics, le port du voile a soudain paru une atteinte à la République. La stigmatisation des jeunes filles voilées n’est pas due au hasard, mais constitue une nouvelle étape de l’offensive raciste. Cette politique vise à réaffirmer l’autorité républicaine sur la jeunesse, en particulier la jeunesse des quartiers populaires, tout comme les propositions de Royal et Sarko d’installer des flics dans les lycées.

La bourgeoisie aurait-elle créé une force capable de la détruire ?

La massification de l’enseignement a changé l’équilibre de la société. Depuis, la jeunesse scolarisée est apparue comme une nouvelle force sociale capable de menacer le pouvoir en place, comme le montrent certaines grandes dates du mouvement étudiant et lycéen : 1968, 1986, 1995, 2003, 2005, 2006...
Cette nouvelle force sociale est due en partie à la structure des lycées et des facs : la concentration de jeunes favorise les débats, les infrastructures permettent la tenue d’assemblées générales, et les étudiants ont moins de contraintes que les travailleurs. De plus, les étudiants ou lycéens ont les moyens culturels et intellectuels de remettre en cause l’idéologie dominante, et de proposer des alternatives. C’est pourquoi ils peuvent parfois entraîner dans la lutte d’autres secteurs de la population.

Suzanne [Sorbonne]


(1) Cité par A Boulangé dans la brochure
Foulard, laïcité et racisme. Les dates citées sont
celles de la Commune de Paris.
(2) J.M. Gaillard, Un siècle d’école républicaine.
(3) Nico Hirtt, Les nouveaux maîtres de l’école.

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