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« Can’t stop, won’t stop  »
Une histoire de la génération Hip-Hop
Jeff Chang, Editions Alia, 2 006
dimanche 4 février 2007, par
C’est la bible de l’histoire du Hip-hop étasunien : plus de 600 pages ! Mais ça vaut le coup de le lire de bout en bout : ça n’a rien à voir avec un traité ultra-intellectuel et ennuyeux. Ce livre est construit à l’image du Hip-hop lui-même, il part dans tous le sens, il mélange les époques et les lieux : les époques couvertes par les chapitres se chevauchent : 1968-77 pour la première partie, 1975-86 pour la deuxième… et abordent aussi bien la situation des gangs de New York dans les années 70 que la situation sociale et politique en Jamaïque à l’époque de Marley… Il entremêle les récits de destins individuels (l’histoire des fondateurs du HH comme Kool Herc et Afrika Bambaataa dans le South Bronx des années 70) et les grands évènements historiques, comme les plus violentes émeutes que les USA aient connu : celles de Los Angeles de 1992.
Une musique et une culture pleines de contradictions
Ce livre offre une plongée au cœur de la culture Hip-Hop, dont les quatre « disciplines » sont abordées : rap, breakdance, graffitti, DJ-ing.
Une plongée qui permet de voir que le Hip-hop est en même temps la musique qui génère le plus d’argent et qui est la plus « colonisée par… ». Mais le Hip-Hop est aussi la principale source d’expression des idées révolutionnaires dans la principale puissance impérialiste du globe : des groupes explicitement marxistes et révolutionnaires comme Dead Prez vendent des centaines de milliers de disques tout en appelant à la destruction de l’État…
Une musique qui a permis le réveil du nationalisme Noir aux États-Unis (Pubic Enemy et la renaissance du militantisme noir à la fin des années 80) et qui est en même temps la musique qui est aujourd’hui écoutée aussi bien par des blancs des Noirs, des Latinos, des Asiatiques…
Hip-Hop, lutte des classes et oppressions
La brillante description de Jeff Chang suggère que les ambiguïtés et les contradictions du Hip-Hop sont présentes dès sa naissance. Dans les quartiers du South Bronx, au milieu des années 70, le Hip-Hop était une réaction positive et créatrice contre l’abandon des quartiers, la casse sociale et l’auto-destruction de la jeunesse par le biais des gangs… mais le Hip-Hop se nourrit dès son origine du gangstérisme, et les gangs n’ont pas joué qu’un rôle négatif dans la vie des jeunes des quartiers : les initiatives de paix entre les gangs ont donné lieu à de véritables programmes de lutte politique et ont favorisé, comme dans l’après-Los Angeles en 92, un foisonnement créatif dans le rap.
Le rap est la musique underground par excellence, encore aujourd’hui faite par les classes les plus défavorisées mais sa marchandisation a commencé très tôt : le premier disque de rap « Rappers’ Delight » est enregistré par un groupe de studio et transforme totalement le format de cette musique : jusqu’en 1979, date de la sortie du disque, le rap n’était fait que par mixes qui duraient trois heures et sa standardisation était impensable… La commercialisation du rap a affecté sa forme et son contenu dès l’origine.
Le rap est en fait le terrain d’une lutte : une lutte pour la suprématie menée par les multinationales qui ont racheté et repris le contrôle de tout le réseau des radios locales. Une lutte des autorités pour criminaliser la jeunesse : la stigmatisation du rap a joué un rôle essentiel dans le développement des politiques de répression anti-jeunes aux États-Unis, qui ont été un modèle pour les gouvernements capitalistes du monde entier : en Californie…
Pour Jeff Chang, « la fusion des médias affecta le contenu du Hip-hop. Les femmes en furent les premières victimes. » Alors qu’au cours des années 80 elles avaient commencé à s’y faire une place, elles sont ravalées au rang de danseuses en maillots de bain… avant qu’au début des années 2000 une nouvelle vague d’artistes comme Jill Scott, Erykah Badu remettent au goût du jour une critique du machisme dans et à l’extérieur du Hip-hop.
« Le retour de l’activisme Hip-Hop »
Malgré cette complexité, et en dépit de la tentative en grande partie réussie de récupération commerciale du Hip-Hop, Jeff Chang finit son livre sur une note d’espoir : il évoque la remontée de la frange militante, de gauche du Hip-Hop, les réseaux (radios, organisations communautaires et culturelles) de ceux qui s’appellent eux-mêmes les « activistes Hip-Hop. » On apprend par exemple qu’ils ont participé aux mobilisations anti-mondialisation aux USA tout au long des années 2000.
Et le livre se termine par la description d’une manifestation organisée par des jeunes activistes Hip-Hop à Los Angeles pour la construction de bonnes écoles dans les quartiers défavorisés : « À présent, le slogan était un joyeux salut en forme de doigt d’honneur aux flics (...) Lorsqu’ils arrivèrent devant le Parlement, ces fils et filles de la révolution - à qui tant avait été donné, à qui tant avait été volé - s’arrêtèrent et se tournèrent pour faire face aux bureaux qui les surplombaient.
Ils s’unirent dans un seul geste de défi. Ils interrompirent la marche. Ils coupèrent la musique. Ils penchèrent la tête, et contre un ciel de granit dans le silence plombé de la ville à midi, se dressa un millier de poings fiers. »
Xavier, [Nanterre]