Accueil > RED > 2006 > RED 74 - novembre 2006 > Formation > La faillite de la social-démocratie

La faillite de la social-démocratie

vendredi 22 décembre 2006, par JCR-RED

Si l’on remonte aux origines du mouvement socialiste et communiste, si l’on remonte jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, notre courant fait partie de la social-démocratie, avec Marx, Lénine ou Trotsky. Pourtant, on voit aujourd’hui très clairement qu’une distance importante nous sépare de ces courants : en France, mais aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne et dans tous les autres pays du monde, la social-démocratie applique des réformes libérales. Qu’est-ce qui a fait que ces partis des travailleurs, qui se battaient pour renverser le capitalisme, sont devenus des partis de gestion du système ? Qu’est-ce qui distingue ces partis des partis bourgeois ordinaires comme l’UMP ou l’UDF ?

Des liens avec la classe ouvrière :

Les organisations social-démocrates ont des histoires très différentes selon les pays. Mais elles ont en commun des liens forts avec les travailleurs et leurs organisations. En Allemagne, le parti socialiste a été à l’origine des organisations syndicales, en Grande-Bretagne, il a été créé par les syndicats. Les adhérents de ces partis étaient principalement des millions ou au moins des centaines de milliers de travailleurs. Il existait des cellules d’entreprises, des réunions où se rassemblaient ces travailleurs, et tout cela influençait considérablement les prises de position de ces partis. Les militants faisaient massivement partie de la classe ouvrière, les dirigeants étaient nombreux à en être originaires. Les revendications, les préoccupations de ces militants étaient donc influencées par les intérêts des travailleurs et il aurait été difficile que ces partis prennent des positions trop différentes des intérêts des travailleurs. En effet, ceux-ci fournissaient la base arrière de ces partis, leur seul soutien, notamment dans des périodes où les partis social-démocrates pouvaient être interdits ou ne disposaient pas de relais dans les institutions (mairies, conseils régionaux, députés, etc.).

Ces liens ont une influence sur les organiques social-démocrates, jusqu’à aujourd’hui : lorsque les dirigeants social-démocrates défendent des revendications sur le pouvoir d’achat, ils tentent de renouer ces liens privilégiés avec les travailleurs.
Pour autant, dès le début du siècle, ces liens ont été atténués. Premièrement parce que, lors de la révolution russe, des millions d’ouvriers ont rejoint les partis communistes, laissant dans les organisations social-démocrates une partie des ouvriers mais surtout les classes petites-bourgeoises et les travailleurs les plus favorisés (ceux qui voyaient moins d’intérêt à la révolution). Deuxièmement, parce qu’à partir de la fin du XIXe siècle, la part des classes petites-bourgeoises, des fonctionnaires d’État, et des fonctionnaires syndicaux ou du parti a considérablement augmenté, au fur et à mesure que les partis social-démocrates prenaient de la place dans la société capitaliste.

Les trahisons de la social-démocratie :

Avant la première guerre mondiale, au nom de la solidarité internationale entre les travailleurs, l’internationalisme prolétarien, les organisations social-démocrates prévoient d’appeler à la grève générale pour empêcher la guerre. Pourtant, dans les années qui la précèdent, le discours des partis socialistes change et chacun considère que son pays devrait gagner la guerre (en France, on craint la barbarie prussienne, en Allemagne, on glorifie l’avance technique et industrielle allemande...). Si bien que tous les partis socialistes se rangent du côté de la guerre et de leur bourgeoisie nationale au moment décisif, et participent à la mort de 10 millions de travailleurs.
Au début du siècle, les organisations social-démocrates sont favorables à la colonisation, parce que les civilisations européennes devraient aider les populations arriérées en les colonisant. Le résultat est d’avoir participé à l’exploitation des peuples jusqu’à tenter de maintenir cette domination pendant la guerre d’Algérie et jusqu’à justifier comme Mitterrand le génocide au Rwanda.

À cela s’ajoute le fait d’avoir aidé la bourgeoisie à maintenir l’ordre à diverses reprises. En particulier, en Allemagne, où le gouvernement socialiste a empêché militairement la révolution en 1919, en Espagne où elle a contribué largement à empêcher que la société s’organise de manière socialiste, en 36 en France où, avec la PCF, elle a fait tout son possible pour que la mobilisation s’arrête. Depuis cette époque, en France, même si ses prises de positions ne sont pas meilleures, elle n’a plus la force par elle-même d’arrêter des mobilisations : c’est le Parti communiste et la CGT qui ont dû faire le sale boulot.

Pourquoi ces trahisons :

Les choix de la social-démocratie depuis le début du siècle sont liés à une évolution profonde de ses relations avec le capitalisme, avec la bourgeoisie et l’État. On peut considérer deux phases. La première est celle de la fin du XIXe siècle aux années trente, où les socialistes arrivent au gouvernement régulièrement. La seconde commence à cette époque et se poursuit aujourd’hui.
Dans la première phase, les organisations du mouvement ouvrier subissent une croissance exceptionnelle. Se met alors en place un appareil de permanents politiques et syndicaux qui se détachent petit à petit des préoccupations des travailleurs et de leurs intérêts matériels (les permanents n’ont pas le risque d’être licenciés, n’ont pas à revendiquer d’augmentation de salaires, etc.). De plus, cette croissance exceptionnelle fortifie l’idée que, petit à petit, les organisations des travailleurs seront de plus en plus fortes, gagneront de plus en plus d’élections, et que la classe ouvrière arrivera au pouvoir par ce biais ; que de plus en plus de droits vont être gagnés et que cela amènera le bonheur sur terre.

Ces deux évolutions amènent les directions, qui deviennent des bureaucraties, à considérer qu’il vaut mieux renforcer leur place dans les institutions de l’État et solidifier les appareils syndicaux et politiques, que se lancer dans de grandes confrontations avec la bourgeoisie. Cela leur fera accepter les guerres, réprimer les révolutions, ne pas se battre jusqu’au bout pour défendre des intérêts très concrets des travailleurs.
Dans la deuxième phase, ce problème s’approfondit. Avec la participation régulière à des gouvernements, les sociaux-démocrates se retrouvent non seulement à prendre des positions mais à les appliquer. Ils ne justifient pas seulement les guerres coloniales, ils les organisent. Non seulement ils ne participent pas de la manière la plus offensive aux grèves, mais ils sont chargés de les combattre en tant que membres du gouvernement. De la guerre d’Algérie à la réforme des 35 heures, les privatisations ou le LMD ces dernières années, les dirigeants socialistes avalent et font avaler de plus en plus de couleuvres.

Se mettre d’accord avec le patronat sur ce type de réformes, être au contact quotidien avec le patronat, avec les hauts fonctionnaires, n’avoir presque plus de lien avec les travailleurs modifie à nouveau les objectifs et la composition des directions social-démocrates. « Ce sont de moins en moins « les bureaucrates syndicaux et les bistrotiers » qui dominent l’appareil socialiste, comme l’expliquait Trotsky, mais de plus en plus les technocrates et hauts fonctionnaires. » (François Ollivier). Les liens entre les dirigeants socialistes et les travailleurs sont de plus en plus faibles : la pression des travailleurs pour une politique qui les défendent un peu est donc de plus en plus réduite. C’est ce qui a conduit Jospin à déclarer en 2002 : « mon programme n’est pas socialiste ».

Mais une évolution encore plus profonde est à l’œuvre. D’après Laurent Fabius, le PS comporterait moins de 5 % d’ouvriers. Il compterait 60 000 élus sur 120 000 adhérents en 1998, 40 % de retraités. Le parti socialiste français n’a jamais été un parti avec une forte base ouvrière, mais ces chiffres montrent une totale déconnexion du Parti socialiste avec les travailleurs et leurs intérêts.

Des liens de plus en plus forts avec l’appareil d’État et le patronat, des liens très réduits avec la classe ouvrière, voilà les raisons profondes de la politique actuelle des partis socialistes.

Quelle politique pour les révolutionnaires ?

Il apparaît aujourd’hui de plus en plus clairement que le PS ne défend pas réellement les intérêts des jeunes et des travailleurs et ne leur permettra pas de changer la société. Le vote pour le PS est utilisé la plupart du temps par peur de la droite, pas par confiance dans le PS. Les jeunes qui s’organisent au PS viennent le plus souvent de milieux petits-bourgeois et le font par humanisme ou pour entamer des carrières politiques. Leur capacité d’action (PS et MJS) dans la jeunesse est limitée, comme on a pu le voir dans la mobilisation sur le CPE. Ils sont obligés de passer par des organisations syndicales comme l’UNEF, la Confédération étudiante, l’UNL et la FIDL.

Face aux évolutions de la social-démocratie, nous avons pour la première fois depuis des décennies la possibilité de faire la démonstration auprès de millions de jeunes que celle-ci ne défend pas leurs intérêts. Notre politique est donc de continuer à proposer l’unité d’action, pour continuer à s’allier avec les quelques secteurs militants qui reste à la social-démocratie, et à nous démarquer politiquement de la manière la plus claire. En effet, le parti socialiste d’aujourd’hui montre de manière claire tout ce que les organisations du mouvement ouvrier ne doivent pas faire. Montrer une démarcation claire, montrer que nous ne soutiendrons jamais sa politique dans les institutions contribue à démontrer qu’aucune politique favorable aux travailleurs et à la jeunesse n’est possible dans ces institutions.

Antoine, [Jussieu]

Messages

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.