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Les normes

mardi 12 juin 2007, par JCR-RED

Topo normes

Une idée préconçue est de pense que la sexualité est une sphère close, qu’il s’agit de quelque chose de privé. Pour nous, les rapports sociaux sont pourtant construits par la société, ce qui veut dire que les rapports hommes – femmes, les rapports amoureux, etc. le sont aussi.
Ces rapports ne sont pas toujours les mêmes selon les lieux et les époques, en un mot selon les sociétés. Ce que nous appelons normes, c’est justement ce qui détermine ces rapport et attitudes que l’on a selon son sexe.
Comprendre les normes est important car il est impossible de nier l’oppression des femmes et des LGBT, et donc nécessaire d’y répondre, notamment en sachant d’où elles viennent et comment lutter contre.

I. Naissance des normes, de la propriété et de l’État

Beaucoup de sociétés étudiées par des anthropologues admettent des pratiques homosexuelles, les organisent et les intègrent. Cela prouve en premier lieu qu’il n’existe pas de sexualité « naturelle » qui serait commune à toutes les sociétés.
Dans les toutes premières sociétés, tout le monde participe à la recherche des moyens de subsistance, par la chasse et la cueillette. Chacun est donc relativement libre de son comportement ; en tous cas, il n’y a pas d’oppression d’un groupe sur un autre.
Mais lorsque apparaît l’agriculture, que l’on ne va plus chercher les moyens de survie, mais qu’on les produit, apparaît également une production supérieure aux besoins. Cette quantité supplémentaire produite s’appelle le « surproduit social », c’est-à-dire la nourriture ou les matières produites en trop ou en plus de ce dont on a besoin pour vivre et se reproduire. Peu à peu, certaines personnes accaparent le surproduit. Par charisme, par des croyances superstitieuses ou religieuses, par la force ou par d’autres moyens, certains convainquent la société qu’il faut leur confier ce surproduit pour le bien de tous.

Il existe alors des classes, plusieurs groupes, de dominants et de dominés, de producteurs et d’accapareurs, même si ces derniers peuvent aussi participer à la production. Or, pour ces dominants, il est nécessaire de perpétuer le pouvoir sur trois plans. Le premier est le plan économique, c’est-à-dire l’exploitation ou l’accaparement d’une partie de la production. Le deuxième est le plan politique, l’organisation de la société comme divisée entre dominants et dominés. Le troisième est le plan idéologique, soit la justification de cet ordre social.

Un moyen de contrôler et d’asseoir le pouvoir sur ces trois plans est la famille. Celle-ci est une cellule de reproduction des richesses car tous ses membres travaillent dans les sociétés agricoles, mais aussi de reproduction de la force de travail avec les enfants qui sont de la future main d’œuvre et enfin de reproduction de l’ordre, par l’éducation des enfants. Cette cellule s’organise autour d’un homme qui a un héritier à qui donner la propriété qu’il a acquise. Cet héritage est à la fois économique et idéologique.
Cet héritier doit donc être légitime, on ne doit pas pouvoir lui contester le pouvoir qu’il a acquis par héritage. Il est alors nécessaire que la femme qui l’enfante soit fidèle et soumise à l’autorité de l’homme. On nomme patriarche l’homme qui domine la famille. En latin, la familia désigne l’ensemble d’une sphère composée d’un homme et de tout ce qui lui appartient : femme, enfants et esclaves.
Dans la société capitaliste, la famille change sensiblement. Avec l’industrialisation, on ne travaille plus dans la ferme familiale, on sort du foyer pour aller travailler, pour aller à l’école, à l’armée, etc. La famille a donc d’autres fonctions, différentes selon la classe. Pour la bourgeoisie, la classe qui possède le capital, c’est-à-dire les entreprises et ce qu’elles produisent, elle est utile à la transmission de la propriété privée et à éduquer les enfants à l’idéologie dominante. Pour la petite bourgeoisie, professions libérales, commerçants, paysans, elle sert encore d’unité de production, car il arrive que les membres participent à la production et à la reproduction de cette cellule. Pour la classe des travailleurs salariés, les ouvriers et employés qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail et la vendent contre un salaire, elle sert avant tout à reproduire cette force de travail, à créer de la future main d’œuvre. Ce qui est commun à toutes les classes, c’est que la famille est aussi un lieu de travail gratuit : le ménage, les tâches ménagères en général et l’éducation des enfants sont pris en charge sans salaire, le plus souvent par les femmes. Il s’agit donc d’un cadre d’exploitation acceptable.

Pour que la famille existe, il faut des rôles bien répartis et la norme fondamentale est bien sûr l’hétérosexualité. Elle est véhiculée par plusieurs biais car comme il s’agit d’une idéologie, le patriarcat, il faut la construire en permanence. Sans faire une liste exhaustive (chaque sphère et élément de la société véhicule d’une manière ou d’une autre, directement ou non, l’idéologie dominante), on peut citer quelques uns de ces biais : la religion, dont on peut croire qu’elle est à l’origine des normes, mais qui en réalité en est la conséquence en tant qu’elle est une construction des sociétés, est sans doute la plus forte des justifications idéologiques de l’ordre moral hétérosexuel et sexiste ; les jouets (la petite fille apprend à faire le ménage, la cuisine et à éduquer les enfants grâce aux dînettes, poupées, etc. Le petit garçon apprend à être bagarreur, donc protecteur vis-à-vis des filles, grâce aux soldats, etc.), la publicité qui présente des femmes faisant le ménage et la cuisine, des couples toujours hétérosexuels, les livres scolaires qui mettent aussi en scène des familles classiques, des enfants aux rôles stéréotypés… Les films sont intéressants à cet égard. Quel que soit le genre, le couple principal est hétérosexuel. Tout film mettant en scène des homosexuels est classé « cinéma » gay, même si ce n’est pas le sujet du film. Or, le cinéma met en scène des modèles pour les spectateurs, les LGBT, particulièrement les jeunes, vont donc rechercher un cinéma LGBT qui leur apportera une possibilité de s’identifier à des personnages types. C’est bien la société hétérosexuelle qui crée des ghettos, et qui en est un elle-même.

II. Oppressions spécifiques

Par l’éducation, l’enfant doit s’insérer dans la société, jouer un rôle particulier. Les notions d’homme et de femme ne sont pas naturelles, biologiques ou physionomiques, elles sont sociales. Il ne s’agit pas de sexes (mâle et femelle) mais de « genres ». S’écarter de la norme, de son genre et du rôle qu’il induit, entraîne une répression. Celle-ci peut être judiciaire dans certains pays qui interdisent certains comportements aux femmes et interdisent l’homosexualité. Mais cette répression peut aussi être le fait non de lois et de l’État, mais d’une stigmatisation de l’ensemble de la société : insultes, termes péjoratifs, discours culpabilisateurs, honte… Les trans, qui refusent d’être des hommes ou des femmes ou qui choisissent un autre sexe, sont toujours considérés comme des malades mentaux par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et sont obligés de consulter des psychiatres en France. C’est donc être fou que de refuser les normes.
Les normes régissent en effet l’ensemble de la vie quotidienne. Les comportements normaux entre hommes et femmes sont des rapports de domination en permanence, y compris dans les rapports de séduction. Ce qu’entraînent les normes, c’est donc une oppression spécifiques des femmes et des LGBT en tant que tels. C’est l’oppression spécifique, qui existe également pour les immigrés, les noirs, les beurs, les musulmans, … Parfois, on parle de « double oppression », pour les travailleuses et les LGBT salariés. Ceux-ci sont à la fois exploités dans l’entreprise, comme l’ensemble des salariés, et opprimés, y compris par les autres salariés.
S’il existe une oppression spécifique, il y a alors des réponses spécifiques. Il faut éviter deux mauvais écueils.
Le premier serait de prendre en compte les seules oppressions spécifiques et de mettre de côté l’oppression capitaliste. Certes, la classe ouvrière a intégré les normes et relaye le sexisme et l’homophobie. Cependant, les normes sont utiles au capitalisme. Elles sont nées des rapports de forces, de la lutte des classes et le seul moyen de les détruire est donc de détruire la base matérielle qui les maintient. Le seul moyen de construire une société où chaque individu serait libre de son comportement et de sa sexualité est de détruire la société qui a besoin de contrôler la population.
Le second écueil serait de se cantonner à la lutte économique, sans intervenir sur les autres questions que la lutte des classes directe. Certes la destruction du capitalisme est nécessaire à l’émancipation de chacun, mais elle n’est pas suffisante. La seule lutte économique ne permet pas de répondre à toutes les oppressions, donc de construire une société sans norme ni oppression. Corrélativement, elle ne permet pas de faire converger les opprimés dans une lutte commune. Il est donc nécessaire de lutter pour la prise en compte des questions femme et LGBT dans les luttes pour unifier notre camp social. Cela signifie aussi combattre les comportements sexistes et homophobes (y compris les slogans dans les luttes) et toute forme d’exclusion.

III. Auto-organisation, non-mixité et expérimentation

Nous sommes pour le mouvement autonome. Cela veut dire le mouvement des opprimés, dirigé par les opprimés, mais non coupé des autres luttes et de la classe ouvrière. Ce mouvement permet l’auto-organisation, c’est-à-dire que les opprimés, seuls à savoir ce qu’est l’oppression, choisissent les moyens d’action et combattent l’oppression dans toutes les sphères, y compris dans les syndicats et partis ouvriers. Le but est d’aborder tous ensemble les questions d’oppression, de norme et de lutte contre elles. Il est nécessaire que les opprimés s’organisent, élaborent des analyses et des réponses et les apportent aux autres. Cela signifie aussi ne pas se priver d’un éventuel rapport de force, même au sein d’un même camp social. Pour cela, les réunions non-mixtes sont un moyen que nous pouvons utiliser, régulièrement ou ponctuellement.
Aux RIJ, nous ne sommes pas dans un espace de militantisme et il est donc possible d’aborder des thèmes moins présents le reste de l’année. Nous avons même la possibilité d’expérimenter des choses. Les fêtes sont des moyens de le faire.
La fête femme non mixte permet d’expérimenter une soirée sans pression des hommes, sans rapports de séductions homme – femme. La fête LGBT est ouverte à tous. Ce sont les jeux qui y sont proposés qui permettent d’essayer une autre sexualité. Il ne s’agit pas de croire que l’on va supprimer les normes, ni même les réticences, des blocages, les inhibitions. Il ne s’agit pas de l’enjeu politique du siècle, mais d’une expérience. De même, le camp est une expérience d’autogestion, même s’il ne s’agit pas de construire le socialisme dans un seul camping. C’est pourquoi il est demandé de respecter ces cadres, sans obligation (pour les femmes d’aller à la fête femme, pour tout le monde, de participer aux jeux), mais en voyant qu’il existe des propositions d’expériences qui ont un intérêt pour les révolutionnaires.

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