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(Lettre à un ouvrier communiste allemand, membre du Parti communiste allemand)
EN QUOI LA POLITIQUE ACTUELLE DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND EST-ELLE ERRONà‰E ?
L. Trotsky, 8 décembre 1931
vendredi 29 juin 2007, par
EN QUOI LA POLITIQUE ACTUELLE DU PARTI COMMUNISTE ALLEMAND EST-ELLE ERRONÉE ?
(Lettre à un ouvrier communiste allemand, membre du Parti communiste allemand)
L. Trotsky, 8 décembre 1931
L’Allemagne vit aujourd’hui une de ses plus grandes heures historiques ; le destin du peuple allemand, le destin de l’Europe et, dans une large mesure, le destin de toute l’humanité pour les décennies à venir en dépendent. Quand on place une boule au sommet d’une pyramide, une faible poussée suffit à la faire rouler soit à droite soit à gauche. Telle est la situation dont l’Allemagne se rapproche d’heure en heure. Certaines forces veulent que la boule roule à droite et brise les reins de la classe ouvrière. D’autres veulent maintenir la boule au sommet. C’est une utopie. La boule ne peut se maintenir sur la pointe de la pyramide. Les communistes voudraient que la boule roule à gauche et casse les reins du capitalisme. Il ne suffit pas de vouloir, il faut en être capable. Essayons une nouvelle fois d’examiner calmement la situation : la politique que mène actuellement le Comité central du Parti communiste allemand est-elle juste ou fausse ?
Que veut Hitler ?
Les fascistes augmentent très rapidement. Les communistes augmentent aussi mais beaucoup plus lentement. Cette croissance des deux pôles extrêmes prouve que la boule ni se maintenir au sommet de la pyramide. La croissance rapide des fascistes implique que la boule peut rouler à droite. Cela constitue un immense danger. Hitler cherche à persuader qu’il est contre un coup d’Etat. Pour étrangler une bonne fois pour toutes la démocratie, il prétend arriver au pouvoir par la seule voie démocratique Peut-on réellement le croire sur parole ? Il est clair que, si les fascistes étaient sûrs d’obtenir par la voie pacifique la majorité absolue des mandats aux prochaines élections, ils préféreraient peut-être cette voie. En fait elle leur est fermée. Il serait stupide de penser que les nazis se développeront pendant une longue période au même rythme qu’aujourd’hui. Tôt ou tard, leur réservoir social sera à sec.
Le fascisme renferme de si terribles contradictions que le moment est proche où le flux cessera de compenser le reflux. Ce moment peut arriver bien avant que les fascistes aient réussi à rassembler plus de la moitié des voix. Il leur sera impossible de s’arrêter car ils n’auront plus rien à espèrer. Ils seront obligés d’en venir au coup d’Etat. Mais même sans parler de cela, la voie démocratique est barrée aux fascistes. La croissance formidable des antagonismes politiques dans le pays et, surtout, l’agitation des bandits fascistes auront forcément pour conséquence que plus les fascistes seront près de la majorité, plus l’atmosphère sera chauffée à blanc et plus les escarmouches et les combats se multiplieront. Dans cette perspective, la guerre civile est absolument inévitable. La question de la prise du pouvoir par les fascistes se résoudra non par un vote mais par la guerre civile que les fascistes préparent et provoquent.
Peut-on imaginer un seul instant qu’Hitler et ses conseillers ne le comprennent pas et ne le prévoient pas ? Ce serait les prendre pour des imbéciles. Il n’y a pas de plus grand crime en politique que de compter sur la bêtise d’un ennemi puissant. Puisque Hitler ne peut pas ne pas comprendre que le chemin du pouvoir passe par une guerre civile très dure, ses discours sur la voie démocratique et pacifique ne sont donc qu’une couverture, c’est-à-dire une ruse de guerre. Il faut d’autant plus être sur ses gardes.
Que cache la ruse de guerre d’Hitler ?
Son calcul est tout à fait clair et évident : il cherche à endormir l’adversaire avec la perspective plus lointaine de la croissance parlementaire des nazis, pour porter au moment favorable un coup mortel à l’adversaire que l’on aura endormi. Il est tout à fait possible que l’admiration d’Hitler pour le parlementarisme démocratique doive l’aider à réaliser dans un proche avenir une coalition où les fascistes occuperont les postes les plus importants et qu’ils s’en serviront… pour un coup d’Etat. En effet, il est plus qu’évident que la coalition du centre avec les fascistes serait non une étape vers la solution " démocratique " de la question, mais servirait de tremplin à un coup d’Etat dans les conditions les plus favorables pour le fascisme.
Il faut viser près
Tout prouve que le dénouement, même indépendamment de la volonté de l’état-major fasciste, se produira dans le courant des prochains mois, si ce n’est des prochaines semaines. Cette circonstance a une énorme importance pour l’élaboration d’une politique juste. Si on admet que les fascistes vont prendre le pouvoir dans deux ou trois mois, il sera dix fois plus difficile de se battre contre eux l’année prochaine, que cette année. Les plans révolutionnaires de toutes sortes, élaborés pour deux, trois ou cinq ans à l’avance, ne sont qu’un bavardage pitoyable et honteux, si la classe ouvrière laisse les fascistes arriver au pouvoir dans les deux, trois ou cinq prochains mois. Le facteur temps dans les opérations militaires, comme en politique lors des crises révolutionnaires, a une importance décisive. Pour illustrer cette idée, prenons un exemple. Hugo Urbahns qui se considère comme un " communiste de gauche ", déclare que le Parti communiste allemand a fait faillite, qu’il est mort politiquement, et il propose de construire un nouveau parti. Si Urbahns avait raison, cela signifierait que la victoire des fascistes est assurée, car il faut des années pour créer un nouveau parti (de plus, il n’est absolument pas prouvé que le parti d’Urbahns sera meilleur que celui de Thaelmann : quand Urbahns était à la tête du parti, il n’y avait pas moins d’erreurs).
Si le fascisme conquérait effectivement le pouvoir, cela signifierait non seulement la liquidation physique du Parti communiste, mais aussi sa faillite politique complète. Les millions d’ouvriers qui forment le prolétariat ne pardonneraient jamais à l’Internationale communiste et à sa section allemande une défaite honteuse, infligée par des bandes de poussières humaines. C’est pourquoi l’arrivée des fascistes au pouvoir rendrait, selon toute vraisemblance, nécessaire la création d’un nouveau parti révolutionnaire et d’une nouvelle internationale. Ce serait une effroyable catastrophe historique. Seuls de véritables liquidateurs, ceux qui, se réfugiant derrière des phrases creuses, se préparent en fait à capituler lâchement avant le combat, considèrent dès maintenant que tout cela est inévitable. Nous, bolcheviks-léninistes, que les staliniens qualifient de " trotskystes ", n’avons rien de commun avec ces gens-là. Nous sommes fermement persuadés que la victoire sur les fascistes est possible non après leur arrivée au pouvoir, non après cinq, dix ou vingt ans de leur domination, mais aujourd’hui, dans la situation actuelle, dans les mois ou les semaines à venir.
Thaelmann considère que la victoire du fascisme est inévitable.
Pour vaincre, il faut une politique juste. Cela implique en particulier qu’il faut une politique adaptée à la situation présente, au regroupement actuel des forces, et non calculée pour une situation qui doit arriver dans un, deux ou trois ans, quand la question du pouvoir sera depuis longtemps résolue. Tout le malheur vient de ce que la politique du Comité central du Parti communiste allemand est fondée, en partie consciemment, en partie inconsciemment, sur la reconnaissance du caractère inévitable de la victoire du fascisme. En effet, dans son appel pour le " front unique rouge ", publié le 29 novembre, le Comité central du Parti communiste allemand part de l’idée qu’il est impossible de vaincre le fascisme, sans avoir vaincu au préalable la social-démocratie allemande.
Cette idée, Thaelmann la répète sur tous les tons dans son article. Cette idée est-elle juste ? A l’échelle historique, elle est absolument vraie. Mais cela ne signifie pas du tout que l’on peut résoudre les questions à l’ordre du jour grâce à elle, c’est-à-dire en se contentant de la répéter. Cette idée, juste du point de vue de la stratégie révolutionnaire dans son ensemble, devient un mensonge, et même un mensonge réactionnaire une fois traduite dans le langage de la tactique. Est-il vrai que pour faire disparaître le chômage et la misère il faut détruire au préalable le capitalisme ? C’est vrai. Mais seul le dernier des imbéciles en tirera la conclusion que nous ne devons pas nous battre aujourd’hui de toutes nos forces contre les mesures qui permettent au capitalisme d’augmenter la misère des ouvriers. Peut-on espérer que le Parti communiste renversera la social-démocratie et le fascisme dans les prochains mois ?
Aucun homme de bon sens, qui sait lire et compter, ne se risquerait à une telle affirmation. Politiquement, la question se pose ainsi : peut-on aujourd’hui, dans le courant des prochains mois, c’est-à-dire malgré la présence de la social-démocratie, malheureusement encore très puissante bien qu’affaiblie, opposer une résistance victorieuse à l’attaque du fascisme ? Le Comité central du Parti communiste allemand répond négativement. En d’autres termes, Thaelmann considère la victoire du fascisme comme inévitable.
Revenons sur l’expérience russe !
Pour présenter mon idée le plus clairement et le plus concrètement possible, je vais reprendre l’expérience du soulèvement de Kornilov. Le 26 août 1917 (ancien calendrier, le général Komilov lance un détachement de cosaques et une division sauvage sur Pétrograd. Au pouvoir il y avait Kérenski commis de la bourgeoisie et pour les trois quarts allié de Kornilov. Lénine se trouvait dans la clandestinité, accusé d’être au service des Hohenzollem ; à cette époque, j’étais enfermé sous la même accusation dans une cellule de la “ Kresty ”. Quelle fut alors l’attitude des bolcheviks ? Ils acaient aussi le droit de dire : " pour vaincre la bande à Kornilov, il faut vaincre la bande à Kérensky ". Ils le dirent plus d’une fois, car c’était correct et nécessaire pour propagande future. Mais c’était absolument insuffisant pour résister à Kornilov le 26 août et les jours qui suivirent, et l’empêcher d’égorger le prolétariat de Pétrograd. C’est pourquoi les bolcheviks ne se contentèrent pas de lancer un appel général aux ouvriers et aux soldats : " Rompez avec les conciliateurs, et soutenez le front unique rouge des bolcheviks ! " Non, les bolcheviks proposèrent aux socialistes révolutionnaires et aux mencheviks un front unique de combat, et créèrent avec eux des organisations communes pour la lutte. Cela était-il correct ou incorrect ? Que Thaelmann me réponde. Pour montrer encore plus clairement comment se présentait le front unique, j’évoquerai l’épisode suivant : libéré de prison grâce à une caution versée par les organisations syndicales, je me rendis directement de ma cellule à une session du Comité de défense populaire, où avec le menchevik Dan et le socialiste révolutionnaire Gots, qui étaient les alliés de Kérensky et qui m’avaient maintenu en prison, j’examinai et résolus les problèmes de la lutte contre Kornilov. Cela était-il correct ou incorrect ? Que Remmele me réponde.
Brüning est-il un " moindre mal " ?
La social-démocratie soutient Brüning, vote pour lui, assume la responsabilité de sa politique devant les masses, en se fondant sur l’affirmation que le gouvernement Brüning est un " moindre mal ". C’est ce point de vue que le Rote Fahne essaie de m’attribuer, sous prétexte que j’ai protesté contre la participation stupide et honteuse des communistes au référendum d’Hitler. Mais est-ce que l’opposition de gauche allemande, et moi en particulier, avons demandé que les communistes votent pour Brüning et lui apportent leur soutien ? Nous, marxistes, considérons Brüning et Hitler ainsi que Braun comme les représentants d’un seul et même système. La question de savoir qui d’entre eux est un " moindre mal " est dépourvue de sens, car leur système, contre lequel nous nous battons, a besoin de tous ses éléments. Mais aujourd’hui, ces éléments sont en conflit, et le parti du prolétariat doit absolument utiliser ce conflit dans l’intérêt de la révolution.
Dans une gamme il y a sept notes. Se demander quelle note est la " meilleure ", do, ré ou sol, n’a pas de sens. Cependant, le musicien doit savoir quand et sur quelle touche frapper. Se demander abstraitement qui, de Brüning ou Hitler est le moindre mal est tout aussi dépourvu de sens. Mais il faut savoir sur laquelle de ces touches frapper. C’est clair ? Pour ceux qui ne comprennent pas, prenons encore un exemple. Si l’un de mes ennemis m’empoisonne chaque jour avec de faibles doses de poison, et qu’un autre veut me tirer un coup de feu par derrière, j’arracherais d’abord le revolver des mains de mon deuxième ennemi, ce qui me donnera la possibilité d’en finir avec le premier. Mais cela ne signifie pas que le poison est un " moindre mal " en comparaison du revolver.
Le malheur veut que les chefs du Parti communiste allemand se soient placés sur le même terrain que la social-démocratie, en se contentant d’inverser les signes : la social-démocratie vote pour Brüning, en le qualifiant de moindre mal ; les communistes qui refusent absolument de faire confiance à Brüning et à Braun (et ils ont tout à fait raison), sont descendus dans la rue pour soutenir le référendum d’Hitler, c’est-à-dire la tentative des fascistes pour renverser Brüning. Par là, ils ont reconnu qu’Hitler était un moindre mal, car une victoire au référendum amènerait au pouvoir Hitler et non le prolétariat. A vrai dire, on est un peu gêné d’expliquer une chose aussi élémentaire ! Il est mauvais, très mauvais que des musiciens comme Remmele, au lieu de distinguer les notes, jouent du piano avec leurs bottes.
Il ne s’agit pas des ouvriers qui ont quitté la social-démocratie mais de ceux qui y restent
Des milliers -et des milliers de Noske, de Wels et d’Hilferding préféreront en fin de compte le fascisme au communisme. Mais pour cela ils doivent rompre définitivement avec les ouvriers - ce qu’ils n’ont pas encore fait aujourd’hui. La social-démocratie avec tous ses antagonismes internes entrent aujourd’hui dans un conflit aigu avec les fascistes. Notre tâche est d’utiliser ce conflit et non de réconcilier au moment crucial les deux adversaires contre nous.
Maintenant, il faut se retourner contre le fascisme en formant un seul front. Et ce front de lutte directe contre le fascisme, commun à tout le prolétariat, il faut l’utiliser pou une attaque de flanc, mais d’autant plus efficace contre la social-démocratie.
Il faut montrer dans les faits le plus grand empressement à conclure avec les sociaux-démocrates un bloc contre les fascistes partout où ils sont prêts à adhérer à ce bloc. Quand on dit aux ouvriers sociaux-démocrates : " Abandonnez vos chefs et rejoignez notre front unique en dehors de tout parti ", on ne fait qu’ajouter une phrase creuse à des milliers d’autres. Il faut savoir détacher les ouvriers de leurs chefs dans l’action. Et l’action maintenant, c’est la lutte contre le fascisme.
Il ne fait aucun doute qu’il y a et qu’il y aura des ouvriers sociaux-démocrates prêts à se battre contre le fascisme au coude à coude avec les ouvriers communistes, et cela indépendamment et même contre la volonté des organisations sociales-démocrates. Evidemment, il faut établir les liens les plus étroits possibles avec ces ouvriers d’avant-garde. Mais pour le moment, ils sont peu nombreux. L’ouvrier allemand est éduqué dans un esprit d’organisation et de discipline. Cela a ses côtés forts et ses côtés faibles. La majorité écrasante des ouvriers sociaux-démocrates veut se battre contre les fascistes mais, pour le moment encore, uniquement avec son organisation. Il est impossible de sauter cette étape. Nous devons aider les ouvriers sociaux-démocrates à vérifier dans les faits - dans une situation nouvelle et exceptionnelle -, ce que valent leurs organisations et leurs chefs, quand il s’agit de la vie ou de la mort de la classe ouvrière.
Il faut imposer à la social-démocratie le bloc contre les fascistes
Le malheur veut qu’il y ait dans le Comité central du Parti communiste de nombreux opportunistes terrorisés. Ils ont entendu dire que l’opportunisme, c’était l’amour pour les blocs.
C’est pourquoi ils sont contre les blocs. Ils ne comprennent pas la différence qui peut exister entre un arrangement au niveau parlementaire et un accord de combat, même le plus modeste, à propos d’une grève ou de la protection des ouvriers typographes contre les bandes fascistes.
Les accords électoraux, les marchandages parlementaires conclus par le parti révolutionnaire avec la social-démocratie servent, en règle générale, la social-démocratie. Un accord pratique pour des actions de masse, pour des buts militants, se fait toujours au profit du parti révolutionnaire. Le Comité anglo-russe était une forme inadmissible de bloc entre deux directions, sur une plate-forme politique commune, imprécis trompeuse et qui n’obligeait à aucune action. Maintenir ce bloc pendant la grève générale où le Conseil général jouait le rôle de briseur de grève, revenait pour les staliniens à mener une politique de trahison.
Aucune plate-forme commune avec la social-démocratie ou les dirigeants des syndicats allemands, aucune publication, aucun drapeau, aucune affiche commune ! Marcher séparément, frapper ensemble ! Se mettre d’accord uniquement sur la manière de frapper, sur qui et quand frapper ! On peut se mettre d’accord sur ce point avec le diable, sa grand-mère et même avec Noske et Grzesinski. A la seule condition de ne pas se lier les mains.
Enfin, il faut rapidement mettre au point un ensemble pratique de mesures, non dans le but de " démasquer " la social-démocratie (devant les communistes), mais dans le but de lutter effectivement contre le fascisme. Ce programme doit porter si la protection des usines, la liberté d’action des comités d’usine, sur l’intangibilité des organisations et des institutions ouvrières, la question des dépôts d’armes dont peuvent s’emparer les fascistes, sur les mesures à prendre en cas de danger, c’est-à-dire sur les actions militantes des détachements communistes sociaux-démocrates, etc.
Dans la lutte contre le fascisme une place immense revient aux comités d’usine. Il faut sur ce point un programme d’action particulièrement soigné. Chaque usine doit se transformer en une forteresse antifasciste avec son commandant et ses équipes de combat. Il faut se procurer le plan des casernes et des autres foyers fascistes dans chaque ville, dans chaque district. Les fascistes essaient d’encercler les foyers révolutionnaires. Il faut encercler l’encercleur. L’accord sur ce terrain avec les organisations sociales-démocrates et syndicales est non seulement admissible mais encore obligatoire. Le refuser au nom de considérations " de principe " (en fait, par bêtise bureaucratique ou, pire encore, par lâcheté) revient à aider directement le fascisme.
Nous proposions dès novembre 1930, c’est-à-dire il y a un an, un programme pratique d’accord avec les ouvriers sociaux-démocrates. Qu’a-t-il été fait dans cette direction ? Presque rien. Le Comité central du Parti communiste s’occupa de tout sauf de ce qui constituait sa tâche immédiate. Que de temps précieux a-t-on perdu ! A vrai dire, il n’en reste pas beaucoup. Le programme d’action doit être purement pratique, purement concret, sans aucune " exigence " artificielle, sans aucune arrière-pensée, pour que tout ouvrier social-démocrate moyen puisse se dire : ce que proposent les communistes est absolument indispensable pour la lutte contre le fascisme. Sur cette base, il faut entraîner par l’exemple les ouvriers sociaux-démocrates et critiquer leurs chefs qui, inévitablement, s’opposeront et freineront le mouvement. C’est seulement sur cette voie qu’est possible la victoire.
Une bonne citation de Lénine
Les épigones actuels, c’est-à-dire les très mauvais disciples de Lénine, aiment à combler leurs lacunes à tout propos par des citations qui, bien souvent, ne sont pas du tout appropriées. Pour un marxiste, ce n’est pas la citation mais la méthode correcte qui permet de résoudre la question. Mais à l’aide d’une méthode correcte, il n’est pas difficile de trouver aussi la citation qui convient. En introduisant tout à l’heure l’analogie avec le soulèvement de Kornilov, je me suis dit : on peut certainement trouver dans Lénine une interprétation théorique de notre bloc avec les conciliateurs dans la lutte contre Kornilov. Et effectivement, dans la deuxième partie du tome XIV de l’édition russe, j’ai trouvé les lignes suivantes dans une lettre de Lénine au Comité central, datant du début de septembre 1917 :
Même maintenant, nous ne devons pas soutenir le gouvernement de Kérensky. Ce serait manquer à nos principes.On demandera : ne faut-il donc pas se battre contre Kornilov. Evidemment que si. Mais ce n’est pas la même chose, il y a une limite entre les deux ; et cette limite, certains bolcheviks la franchissent, en cédant à l’esprit de " conciliation ", et en se laissant entraîner par le flot des événements. Nous faisons et nous continuerons à faire la guerre à Kornilov, mais nous ne soutenons pas Kérensky, nous dévoilons au contraire sa faiblesse. Il y a lé une différence. Une différence assez subtile, mais tout à fait essentielle, et qu’on ne doit oublier. En quoi consiste donc la modification de notre tactique après la révolte de Kornilov ? En ce que nous modifions la forme de notre lutte contre Kérensky. Sans atténuer le moins du monde notre hostilité envers lui, sans rétracter aucune des paroles que nous avons dites contre, sans renoncer à le renverser, nous disons : il faut tenir compte du moment, nous n’essaierons pas de le renverser tout de suite, nous le combattrons maintenant d’une autre façon et plus précisément en soulignant aux yeux du peuple (qui combat Kornilov) la faiblesse et les hésitations de Kérensky.
Nous ne proposons rien d’autre : totale indépendance de l’organisation communiste et de sa presse, complète liberté de la critique communiste, même en ce qui concerne la social-démocratie et les syndicats. Seuls les opportunistes les plus méprisables peuvent admettre l’aliénation de la liberté du Parti communiste (par exemple, par l’adhésion au Kuomintang). Nous n’en faisons pas partie.
Nous ne devons rien retirer à notre critique de la social-démocratie. Nous ne devons rien oublier du passé. Nous réglerons en temps voulu tous nos comptes historiques, et, parmi eux, notre compte pour Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg. De la même manière, nous, bolcheviks russes, avons finalement présenté une note globale aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires pour les persécutions, les calomnies, les arrestations, les meurtres des ouvriers, des soldats et des paysans.
Mais nous avons présenté cette note deux mois apres avoir utilisé les règlements de compte particuliers entre Kérensky et Kornilov, entre les " démocrates " et les fascistes, pour repousser plus sûrement les fascistes. C’est seulement grâce à cela que nous avons vaincu.
Si le Comité central du Parti communiste allemand fait sienne la position qui est exprimée dans la citation de Lénine, toute l’attitude envers les masses sociales-démocrates et les organisations syndicales, changera immédiatement : au lieu des articles et des discours qui ne sont convaincants que pour ceux qui sont déjà convaincus par ailleurs, les agitateurs trouveront m langage commun avec de nouvelles centaines de milliers et de millions d’ouvriers. La différenciation au sein de la social-démocratie s’accélérera. Les fascistes sentiront bientôt qu’il ne s’agit plus de tromper Brüning, Braun et Wels, mais d’accepter la lutte ouverte avec toute la classe ouvrière. Une profonde différenciation au sein du fascisme se produira inévitablement sur cette base. Seule cette voie rend la victoire possible.
Mais il faut vouloir cette victoire. Or, parmi les fonctionnaires communistes il y a pas mal, hélas, de carriéristes peureux et de bonzes, qui chérissent leur petite place, leur salaire, et encore plus leur peau. Ces individus sont très enclins à faire parade de phrases ultra-gauches, qui dissimulent un fatalisme pitoyable et méprisable. " On ne peut pas se battre contre le fascisme, sans avoir vaincu la social-démocratie ! " - dit le farouche révolutionnaire et.., il se prépare un passeport pour l’étranger.
Ouvriers communistes, vous êtes des centaines de milliers, des millions, vous n’avez nulle part où aller, il n’y aura pas assez de passeports pour vous. Si le fascisme arrive au pouvoir, il passera comme un tank effroyable, sur vos crânes et vos échines. Le salut se trouve uniquement dans une lutte sans merci. Seul le rapprochement dans la lutte avec les ouvriers sociaux-démocrates peut apporter la victoire. Dépêchez-vous, ouvriers communistes, car il vous reste peu de temps !
8 décembre 1931.