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Les luttes de libération nationale

jeudi 19 juillet 2007, par RED

Mais quoi de commun
entre la lutte des
Gaulois contre Rome,
de Rome contre les
barbares (les « hommes
à barbe »), des Incas et des Africains
contre les envahisseurs européens, des
Algériens contre la France, des Afghans contre
l’URSS, des Palestiniens contre Israël
et des Ivoiriens contre la domination de la
France actuellement ? Le seul point commun,
c’est la volonté de larges franges de
la population de se battre, en partie indépendamment
des clivages de classes, pour
acquérir une certaine liberté. Cette bataille
se déroule avec une telle énergie qu’une
bonne partie de ces luttes de libération est
victorieuse, malgré la puissance militaire des
envahisseurs.

Pour les marxistes révolutionnaires, cette
question de la libération nationale est
complexe, car peut paraître contradictoire
avec la bataille pour la révolution mondiale,
pour une société mondiale où collaborerait
l’ensemble des travailleurs.

La résistance à la colonisation

Les premières luttes nationales sont
liées à la constitution des empires et
des nations. Bien souvent, cela conduit
à la résistance de peuples arriérés contre
des envahisseurs ayant un atteint un
stade développement bien plus avancé.
Les frontières sont les points d’équilibre
entre puissances lors de ces guerres de
conquêtes.

La colonisation de l’Amérique par les
conquistadors donne lieu à des résistances
qui forgent un imaginaire, une tradition
en Amérique du Sud. Tupac Amaru,
par exemple, un Inca, a donné son nom à
un dirigeant de la résistance au XIXe siècle
puis à un mouvement révolutionnaire. Ces
résistances sont matées dans le sang : au
XVIe siècle, en 45 ans, le nombre d’habitants
de l’empire inca passe de 12 millions
à 1,1 million.

En Afrique, la résistance est canalisée
par les colons européens car elle se
déroule en plusieurs étapes. Après que
les Européens ont déporté des millions
d’Africains (17 millions entre le 9e et le
XIXe siècle) réduits en esclavage, la résistance
à la colonisation a été difficile pour
les populations. Pour autant, de multiples
révoltes ont lieu, au XIXe siècle en particulier.

La faiblesse des résistances est essentiellement
due à l’avance technique, politique
(constitution d’États forts) et économique
des puissances colonisatrices.
Pour résister, les tribus doivent se mettre
d’accord entre elles et s’organiser aussi vite
que possible et combler ce retard politique
en quelques mois.

La fin du XIXe siècle

Pour les marxistes, la manière d’envisager
la question nationale est déterminée
par l’évolution historique. Ceux-ci doivent
s’extraire de la pression politique des classes
dominantes, qui définissent la colonisation
comme une mission civilisatrice. Au
départ, ils restent très influencés par cette
vision, même s’ils sont révoltés par la violence
de la colonisation. D’autant que leurs
préoccupations sont l’avancée technique,
susceptible de renforcer le poids de la
classe ouvrière dans la société, et l’internationalisme.
Ils ne parviennent à changer
à changer de vision qu’en observant la
situation en Europe, celle qui est la plus
proche d’eux. En observant la situation de
l’Irlande, en 1867, Marx comprend que son
indépendance est un passage obligé pour
que les classes ouvrières d’Irlande et d’Angleterre
puissent lutter ensemble contre la
bourgeoisie anglaise. Marx et Engels formulent
que « toute nation qui en opprime
une autre ne saurait être libre ». Mais ils ne
formulent pas encore de stratégie précise
dans les pays opprimés.

La discussion sur la question nationale
chez les marxistes au début du XIXe siècle
tourne essentiellement autour des nations
et des peuples d’Europe. Leurs préoccupations
sont là encore complexes, puisqu’ils
ne peuvent que constater que les
puissances oppressives sont souvent les
plus avancées et les pays conquis les plus
rétrogrades, socialement, techniquement
et politiquement. De plus, ils se battent
déjà pour une révolution mondiale. Pour
autant, même une marxiste des plus réticentes
sur la question nationale comme
Rosa Luxembourg formule le principe
d’articuler (a) d’être « toujours du côté
des aspirations à la liberté » et (b) les
« intérêts pratiques de la social-démocratie
 ». Des débats complexes s’ensuivent
sur l’articulation entre intérêts de la classe
ouvrière, lutte pour des libertés fondamentales
et ne pas se mettre à la remorque
d’une bourgeoisie nationale.

C’est Lénine qui va dépasser ces
réflexions, parce que sa pensée est tournée
entièrement vers les questions de stratégie.
Pour lui, le problème est d’avancer au plus
vite vers la victoire de la classe ouvrière
en s’appuyant sur
les dynamiques
qui existent dans
la société, qu’on le
veuille ou non. Il
ne combat pas la
volonté d’indépendance
des nations
et des peuples, il
l’intègre au projet de société socialiste.
Il considère que « l’Etat-nation constitue
la forme la plus adaptée aux conditions
actuelles », autrement dit, le cadre nécessaire
pour que le prolétariat puisse lutter
contre la bourgeoisie. Pour lui, les révolutionnaires
doivent appuyer et s’appuyer sur
les révoltes nationales contre l’oppression
impérialiste, la classe ouvrière doit accorder
un droit à la libre détermination des
nations, y compris le droit de se séparer.
Cette position est pour lui intégrée dans
une politique pour affaiblir les bourgeoisies
impérialistes, « l’ennemi est dans
notre propre pays », politique qui trouve
toute sa cohérence dans la lutte contre la
première guerre mondiale et dans le fait
que la Russie révolutionnaire trouve des
alliés en donnant leur indépendance à une
série de pays opprimés par la Russie tsariste.
Cette politique est aussi élémentaire
d’un point de vue démocratique, pour permettre
« le droit de chaque nation à une
existence indépendante » (Trotsky).

La lutte contre la colonisation

La décolonisation, des années vingt aux
années soixante-dix, est la conjonction de
plusieurs phénomènes dont la part varie
selon l’époque et le pays. Le premier élément
est la constitution de bourgeoisies
autochtones qui veulent conquérir une
certaine indépendance. Le deuxième est
l’impossibilité pour la population de continuer
à subir une oppression aussi. La troisième
est une modification des conditions
de la lutte pour l’indépendance nationale :
les bourgeoisies nationales, à cause des
guerres mondiales, n’ont plus forcément
les moyens d’assurer leur domination militaire
dans les colonies et, surtout après la
deuxième guerre mondiale, elles envisagent
une modification du mode de domination.

La lutte commence en particulier en
Asie, avec la Chine et l’Inde. En Chine, la
révolution commence en 1925 et reprendra
pendant la deuxième guerre mondiale.
L’Inde gagne son indépendance en 1947.
Les colonies françaises se libèrent entre
45 et 62 (Algérie).

Dans tous ces mouvements nationaux,
si la décolonisation semble inéluctable,
on se retrouve confrontés au problème
suivant : qui domine le processus ? En
Chine en 1925-1927, c’est la bourgeoisie
autochtone qui prend le dessus, avec le
Kuomintang, derrière lequel se range le
parti communiste chinois. C’est aussi le
cas dans la plupart des pays comme en
Amérique du Sud, l’Inde et le Pakistan
(etc.), qui restent de fait sous domination
impérialiste (par les États-Unis, l’Angleterre…).
En Afrique, dans la plupart des
pays, c’est la France qui domine le processus,
malgré ses réticences : elle choisit des
dirigeants bourgeois autochtones, souvent
issus de courants anticolonialistes, pour la
servir. D’ailleurs, elle n’hésite pas à assassiner
les dirigeants qui lui sont opposés
(1). En Chine, en 1949, au Vietnam, à Cuba,
au contraire, ce sont des mouvements
d’inspiration marxiste et s’appuyant partiellement
sur la classe ouvrière qui parvienne
à prendre le dessus. Les guerres
d’indépendance, liées à une révolution,
qui ont lieu dans ces pays, ont un contenu
social bien plus fort qu’ailleurs. Mais
la petite bourgeoisie (paysannerie, notables…)
reste très forte dans ces courants
indépendantistes, ce qui, avec la pression
de l’URSS, ne leur permet pas de développer
un système socialiste.

C’est dans ce contexte que les analyses
de Lénine et de Trotsky prennent tout leur
sens. Trotsky explique, dans la théorie de
la révolution permanente que, pour qu’une
révolution démocratique (comme le sont
les révoltes anticoloniales) aboutisse, la
classe ouvrière doit en prendre la direction,
en défendant les mots d’ordre d’indépendance
nationale et en ouvrant la voie à
la transformation socialiste de la société.
Il défend que les révolutionnaires doivent
s’allier, tout en gardant leur indépendance
et en défendant leur orientation, avec les
courants qui se battent pour l’indépendance,
pour parvenir à ces fins. De fait, lorsque
ce n’est pas ce qu’il décrit qui se produit,
les impérialistes conservent leur domination.
L’Afrique est un exemple criant : c’est
bien la France qui continue à dominer et à
piller nombre de pays. Elle a fait le choix
de changer de mode de domination pour
conserver sa puissance.

Les luttes de libération nationale aujourd’hui

La domination impérialiste a changé
de forme par rapport à la colonisation.
Les puissances impérialistes ne possèdent
plus les pays soumis, ils les dirigent
indirectement, par le biais de régimes
qui leur sont inféodés. Ils doivent pour
cela parfois intervenir militairement (la
France a aujourd’hui 3 000 soldats en Côte d’Ivoire),
maintenir en place des dictatures
ou provoquer des génocides (comme
au Rwanda). Pour les révolutionnaires, la
politique est maintenant tracée : défendre
le droit des nations à se libérer, à leur indépendance,
tout en défendant les intérêts
et le programme de la classe ouvrière. Les
difficultés sont considérables et on peut
observer que lorsque ce programme n’est
pas assez crédible, ce sont encore des courants
bourgeois ou petits-bourgeois qui
prennent le dessus. Mais la situation dans
les pays dominés ces dernières années, en
Afrique, en Amérique du Sud, en Palestine,
en Asie montre que les peuples cherchent
des voies vers leur libération. Aux révolutionnaires
de les aider et de les soutenir
pour la révolution !

Privas, [Jussieu]


Note
 (1) Lire àce sujet La Françafrique, le plus long
scandale de la République, de François-Xavier
Verschave, Édition Stock.

Bibliographie
 Les marxistes et la question
nationale 1848-1914, Georges
Haupt, Michaë l Löwy, Claudie
Weill, 29 euros, L’Harmattan
 L’impérialisme, stade suprême
du capitalisme, Lénine, La
Dispute, 5 euros.
 La révolution permanente,
Léon Trotsky, Éditions de Minuit,
15 euros.

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