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LA DESASTREUSE EPOPEE DE L’EURO

samedi 29 septembre 2007, par RED

IL NE FAIT PLUS DE DOUTE POUR PERSONNE QUE LA 3 CONSTRUCTION 3 EUROPENNE ET LA MISE EN PLACE DE L’EURO, LE 31 DECEMBRE 1998, MARQUENT LE COURONNEMENT DU PLUS GROS CHANTIER DU CAPITALISME EUROPEEN.

Le superlatif est ici superflu puisque, en y regardant de plus près, il apparaît que la mise en place de la monnaie unique est le seul projet des libéraux européens depuis vingt ans. Mais si, au début, l’objectif de cette union était de rapprocher les grandes puissances de l’Europe (occidentale) et d’éviter un nouveau conflit mondial, rapidement, la construction européenne s’est mise au service de la dictature libérale.

Ainsi, prise en main par les promoteurs de la pensée unique, les nouveaux « constructeurs » européens se sont appliqués, pactes après pactes, sommets après sommets, à imposer à toutes les populations européennes le libéralisme le plus sauvage avec son lot de déréglementation, d’austérité, de liberté d’échange et de concurrence, de casse des services public, de flexibilité, de précarité généralisée, de destruction des protections et des services sociaux... et en prime, la création d’une monnaie forte capable de concurrencer le dollar. Seulement voilà ! Comme le faisait remarquer Juppé en décembre 95, les peuples européens ne comprenaient pas les enjeux et l’importance de ce projet. Apparaissait alors au grand jour, une certaine divergence de point de vue opposant les intérêts libéraux à ces quelques
millions « d’ignares » qui semblaient plus préoccupés par la lutte contre le chômage que par l’avènement du libéralisme européen. Et pour cause, les « ignares » en question avaient compris que cette politique européenne, loin de leur assurer des conditions de vie décentes, allait surtout détruire tous leurs acquis.

Une campagne de pub géante.

Bien vite, il n’était plus possible, pour les dirigeants politiques, de présenter la construction européenne comme un outil de lutte contre le chômage, la misère ou la précarité, tant les politiques mises en place pour satisfaire aux critères de convergence s’avéraient destructrices et inhumaines. La fermeture de l’usine Renault de Vilvoorde et le licenciement de ses trois mille employés finissant de convaincre les derniers naïfs que les politiques d’austérité imposées par la construction européenne ne servaient en aucune manière à protéger l’emploi. Bien au contraire...
Dès lors, il fallait trouver une nouvelle stratégie pour faire accepter cette Europe antisociale et permettre, par la même occasion, au rouleau compresseur libéral de finir son travail. Il fallait trouver un nouveau moyen de vendre aux peuples européens un projet qui leur était défavorable à bien des égards.

Les libéraux européens firent alors ce qu’ils savent faire de mieux : une campagne de pub.

Il s’agissait premièrement de vanter les mérites de cette Europe. Pas facile tant il était clair que cette union ne se faisait que pour augmenter les profits d’une faible partie de la population déjà très privilégiée. Les « publicitaires » européens décidèrent alors de reprendre à leur compte l’idée de départ de la construction européenne. Ainsi, sous couvert d’amitié entre les peuples, ils mirent en avant la lutte contre la xénophobie et un slogan accrocheur, celui de libre circulation. Omettant évidemment de préciser que cette liberté se limitait aux seules marchandises...

Deuxièmement, il leur fallait combattre les opposants. A ces problèmes ils trouvèrent deux solutions assez efficaces. Soit les « acheter » comme le fit Jospin en intégrant les contrevenants (Verts, Chevènement et à moindre échelle le PC) à la mise en place du projet, et Chirac en proposant à Seguin de vanter les mérites d’une construction européenne à laquelle il s’était pourtant opposé avec acharnement ; le carriérisme et l’ambition suffisant souvent aux retournements de veste les plus acrobatiques. Soit en les isolant et en les dénigrant, comme c’est actuellement le cas, à droite, où c’est Pasqua qui en fait les frais, et à gauche, où on est même allé jusqu’à qualifier les mouvements sociaux de « conservateurs ». C’est l’hôpital libéral qui se fout de la charité sociale ! Cette tâche fut d’autant plus facile que le consortium pro-Europe libérale (regroupant la quasi totalité des financiers, des grands patrons, des multinationales et des partis politiques traditionnels) était tellement puissant que pour éviter tous projets alternatifs, il lui suffisait de leur empêcher l’accès aux moyens de communication. Ainsi, ayant éliminé toutes « concurrences », il ne restait plus, pour vendre le produit, qu’à dire qu’il n’y avait rien d’autre. Eh, oui ! La pensée unique n’est pas qu’une expression...

Pour finir, les éléments essentiels d’une campagne de pub : le « cadeau bonus », l’euro jouant ce rôle à merveille (ça sert à rien mais ça fait vendre) et le pilonnage médiatique, et là-dessus, l’Europe libérale n’a rien à envier à Coca Cola, Mac Donalds ou la guerre du Golfe. En effet, à l’exception de quelques irréductibles journaux (Monde Diplomatique ou Canard Enchaîné) tout le monde s’y est mis, jusqu’au Journal de Mickey (en partenariat avec la BNP !). Ainsi, pas un journal, pas une télé, pas une radio n’a lésiné sur les moyens pour vanter les mérites de cette Europe et de sa nouvelle monnaie. Mais, plus fou encore, en plus des médias, toutes les banques, les grandes surfaces, les grosses entreprises ainsi que la quasi-totalité des dirigeants politiques ont participé à la campagne. A croire que le passage à la monnaie unique avait plus d’importance que la victoire de l’équipe de France à la coupe du monde...

Une campagne surréaliste aux conséquences bien réelles.

Voilà donc comment s’est mise en place cette campagne de pub gigantesque et surréaliste, étalée sur dix ans et qui a atteint son zénith le premier janvier 1999. Une campagne, aux moyens phénoménaux, qui, en dix ans, a fait de ce projet libéral la priorité des priorités, reléguant au second plan des questions « dérisoires » telles que la démocratie, la lutte contre le chômage ou la précarité.

En effet, de démocratie il n’y en eut pas plus, dans cette campagne, que lors des plébiscites napoléoniens du siècle dernier. Tout a été fait pour que le débat soit clos avant d’avoir commencé, de sorte que les rares réflexions objectives sur cette construction européenne se sont vues aussitôt taxées de conservatisme ahuri et que les débats n’eurent lieu qu’entre libéraux convaincus.

En outre, comme toutes les pubs, cette campagne fut largement mensongère. Ainsi, on nous a affirmé que la constitution de l’Union Européenne était un acte de lutte contre la xénophobie ou pour la tolérance, pourtant les garants européens de la bonne conduite libérale des Etats membres, sans doute poussés par un excès de tolérance, n’ont pas hésité à en exclure la Grèce qui n’avait pas réussi à rattraper son retard économique dans le temps imparti. L’euphorie des économistes se félicitant d’avoir fait la nique au dollar tout-puissant ou les efforts dégagés par les polices européennes pour fermer les frontières aux immigrés des pays pauvres prouvent à quel point la lutte contre la xénophobie n’est pas à l’ordre du jour des instances européennes. Pour ce qui est de l’euro, il faut d’abord signaler que, contrairement à tout ce que nous rabâchent les médias, il n’est pas possible de payer avec des chèques français (même en euro) dans d’autres pays de la communauté européenne, par contre on peut toujours payer par carte bleue (visa bien sûr), donc rien de nouveau. Néanmoins, comme nous l’a expliqué DSK (ministre des finances), on peut, grâce à l’euro, profiter des différences de prix, et ainsi acheter une voiture en Italie (où elles sont moins chères) et faire son plein en Espagne... Y’a pas à dire, ça va nous changer la vie. Mais n’ayons crainte, Jospin, et son ami Schröder (chancelier allemand) nous ont promis (depuis juin 97) de créer une Europe « sociale » histoire de commencer à lutter contre le chômage (tiens quelle drôle d’idée). Mais, en fait de lutte contre le chômage, celle-ci s’apparente plus à une lutte contre les chômeurs, avec au programme l’obligation pour les chômeurs d’accepter n’importe quel emploi (précaire, stage) quel qu’en soit le salaire ou les conditions, sous peine de suppression des prestations sociales, ajoutons à cela quelques ouvertures de capital, l’augmentation de la concurrence sauvage et quelques cadeaux aux grands patrons européens, voilà un beau florilège de mesures antisociales qui ne risquent pas de faire reculer le chômage.

Enfin, Il faut tout de même féliciter la prouesse des promoteurs de l’Europe libérale qui ont réussi à parler de leur projet, tous les jours, pendant plus d’un mois, et ceci sans dire un mot de la ratification du traité d’Amsterdam (qui s’est faite sans référendum cette fois-ci) par les Parlements européens. Pourtant, ce traité aura des conséquences terribles puisqu’il pérennise les critères de convergence, donc les politiques d’austérité, de restriction budgétaire... Ce qui prouve que l’objectif de cette construction européenne était d’imposer la pensée libérale à toute l’Europe et à tous les niveaux et surtout de tout faire pour qu’elle y reste.

Au final, malgré les moyens engagés, on peut dire que cette méga campagne de pub est un bide. En effet, même si les sondages affirment que « l’opinion » est plutôt favorable à la monnaie unique, il semble en réalité que cette opinion s’en fout. Ainsi, il n’y a guère que les banquiers pour s’extasier devant le taux de 6,55957 Francs pour un euro alors que la grande majorité des
« consommateurs moyens », et même une grosse partie des petits commerçants et des patrons de PMI-PME, semblent avoir d’autres préoccupations qu’ils avouent plus importantes (sacrilège !). Enfin, même si les protestations sont plutôt rares (il faut dire que ce n’est pas évident), la plupart des mobilisations et des mouvements de protestation s’opposent directement aux conséquences de cette construction européenne (ce fut le cas des étudiants, des cheminots, des routiers, des retraités...).

L’euro : une monnaie virtuelle pour une structure virtuelle.

La mise en place de la monnaie unique européenne et l’euphorie qu’elle a entraîné sur les « marchés financiers » montre la déconnexion totale qui existe entre les marchés boursiers et la réalité. Voilà donc, que les habitants de la planète « Bourse » jonglent avec une monnaie qui n’existe que chez eux et qui n’a aucune réalité économique ou sociale. Ils en arrivent ainsi, à faire des bénéfices virtuels comptés en monnaie virtuelle pendant que les 99% de la population qui restent subissent réellement, au quotidien, l’exploitation qu’engendre ce monopoly géant. D’ailleurs quelle réalité pourrait avoir cette monnaie unique, puisqu’elle n’est issue d’aucune structure, d’aucun gouvernement, d’aucun état. Au contraire, le seul élément concret qui lie entre eux les états membres de la communauté européenne c’est justement qu’ils ont la même monnaie, c’est le monde à l’envers. Cette communauté d’état n’a aucune instance démocratique, n’organise aucun débat sur ses orientations, il n’y pas non plus de gouvernement ni d’élection d’ailleurs (à part l’élection d’une pseudo-assemblée européenne dont le rôle n’est que consultatif). Cette structure, malgré sa monnaie forte, n’a aucun poids réel sur la scène internationale, et pour cause, elle n’a aucune cohérence diplomatique. Les divergences (affichées ou masquées) sur les rapport à entretenir avec les pays africains, asiatiques, et en particulier la Chine, la Russie comme sur la réaction face aux attaques anglo-américaines dans le Golfe ajoutées à l’incapacité de réaction face aux problèmes européens (Yougoslavie, Kosovo, Albanie) ou proches (dont en particulier l’Algérie) ne sont que les conséquences immédiates du vide constitutionnel de l’union européenne.

D’ailleurs, quelle existence pourrait avoir un quelconque système européen s’il ne développe aucun service publique, aucun système de protection social ni aucune solidarité entre les états, les régions et les individus qui la composent. A l’heure actuelle, l’Union Européenne n’a mis en place aucune de ses structures et n’est visiblement pas prête à le faire. A tel point que, à part la tentative d’unification des polices européenne (évidemment !) par les accords de Schengen, la seule instance européenne est la Banque Centrale Européenne, qui n’a évidemment jamais était élue, et qui est tellement indépendante des contrôles démocratiques qu’elle pourrait être délocalisée sur une île déserte sans que son rôle et son pouvoir n’en soit ébréché.

Construire l’Europe.

Toutes ces réflexions montrent à quel point, pour construire réellement l’Europe, tout reste à faire. Il faut en effet entamer la construction d’une Europe réellement démocratique, sociale, solidaire et ouverte. Mais, bien évidemment, une telle idée de l’Europe est en totale contradiction avec la construction libérale actuelle. C’est pourquoi une réelle construction européenne passe par une lutte acharnée contre sa destruction libérale. Alors, certes, cette concrétisation de l’Union Européenne entraîne la mise en place d’une monnaie unique, mais ce n’est sûrement pas son seul but. Et ce n’est pas nous qui allons la critiquer, puisque nous la mettons en place chaque année lors du camp de jeunesse de la IV° Internationale, mais pour assurer une véritable harmonisation égalitaire, nos critères à nous sont basés sur le niveau de vie et non pas des critères qui préservent les inégalités et les privilèges déjà existants, voire les accroissent.

Bien sûr, aucune de ces considérations sociales ou démocratiques, en un mot humaines, n’ont été prise en compte par les promoteurs de la pensée unique lorsqu’ils ont créé la monnaie du même nom. A l’image des fusions opérées entre les grandes multinationale, la construction de l’Europe libérale n’a été dictée que par la recherche du profit (donc de l’exploitation) maximum, l’euro n’en étant que le logo commun. Il faudrait, dès lors, être bête (ou ministre des finances) pour croire que cette monnaie va entraîner la constitution d’une Europe démocratique et solidaire. A moins que, lassée par la logique libérale, le mouvement social européen ne l’impose. Il ne nous reste plus qu’à nous mettre au travail...

Janis Chaluso, [Marseille]

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