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Interview
CHRONIQUE D’UNE TRAVERSEE ORDINAIRE...
dimanche 24 décembre 2006, par
Le 17 janvier, un jeune Sénégalais arrive en France dans le train d’atterrissage d’un avion. Il sera gardé au "secret" pendant une semaine. Maître M.N. Fréry, avocate lyonnaise spécialisée en droit des mineurs et droits des étrangers, militante par ailleurs à la CIMADE, s’est occupé de cette affaire.
Peux tu revenir sur l’histoire de Bertrand Anry ?
M.N.Fréry : Suite à un article de "Libé" du Vendredi 25 Janvier annonçant qu’une personne a été mise en zone d’attente et provenant du train d’atterrissage d’un avion, plusieurs associations sont alertées et contactent la préfecture qui annonce que cet "adulte" va bien et que tout s’est passé dans les règles. On saura par la suite qu’à cette date les autorités sont déjà en possession des documents médicaux prouvant que cette personne est un mineur... Ce n’est que le lundi matin suivant qu’une personne peut le voir à l’hôpital et constate que ce jeune n’est pas dans un bon état et qu’il a besoin de voir un juge des enfants et un avocat.
C’est à ce moment que je suis saisie et je me rend donc auprès du jeune et je constate qu’effectivement ce jeune est en très mauvais état. Je demande alors au juge des enfants de prendre une décision de placement. Mais le jeune va être rapidement transféré à la zone d’attente de l’aéroport de Satolas, sans médicaments et sans contrôle médical, avec l’aval du professeur Chapuis qui demande le silence à tout son service de pédiatrie de l’hôpital Herriot. Le juge se voit alors interdire l’accès à la zone d’attente de Satolas, mais le juge va prendre une décision de placement de 6 mois du jeune mineur en croyant sur parole les quelques personnes qui ont pu le voir.
Mais le problème dans ce dossier, c’est que ce jeune arrivé le 17 janvier en France n’a vu personne pendant une semaine et qu’aujourd’hui le 12 février il n’a toujours pas subi d’expertise médicale sérieuse ce qui laisse augurer de lourdes séquelles physiques et psychologiques. Quelque part on s’en est foutu de ce jeune, car pendant huit jours personne ne s’en est occupé, y compris à l’hôpital, où pour certains, les ordres de la préfecture semblent dépasser l’humanité d’un médecin.
Qu’est ce qu’est cette « zone d’attente » ?
M.N.Fréry : Une zone d’attente est une zone fictive de non droits où les sans-papiers peuvent être maintenus. A Satolas, c’est une salle d’embarquement contrôlée exclusivement par des policiers, où il n’y a pas de visite. Cette zone, mise en place depuis la loi Marchand, donc par la gauche puis reprise par la droite, n’appartient pas théoriquement à la France et permet aux autorités de garder une personne 4 jours (une garde à vue dure elle 20 heures) au bout desquelles le juge peut visiter le "détenu" et prolonger de 8 jours par 2 fois . C’est à dire qu’on peut garder des gens 20 jours sans un vrai contrôle juridique et en disant qu’ils ne sont toujours pas entrés en France !
Comment se fait-il que personne n’ait été averti pendant la semaine où Bertrand a été isolé à l’hôpital ?
M.N.Fréry : C’est en effet très grave. Premièrement, le procureur de la république a été averti, il aurait dû avec le préfet, avertir un juge des enfants comme la loi l’indique aujourd’hui. Deuxièmement, dans l’heure où un mineur est arrêté par des services de police, il a le droit à voir un avocat. Bertrand Anry a dû attendre 8 jours... C’est illégal ! Heureusement qu’une passagère de l’avion, qui a vu une ambulance sous le train d’atterrissage, s’est étonnée de ne rien voir dans la presse les jours suivants et a interpellé Libé qui a ensuite relayé l’affaire. Sinon on l’aurait renvoyé au Sénégal dans son état. Cela dit, moi je pense qu’il y a sûrement d’autres affaires comme celle-ci sans que personne soit au courant...
Que va t-il maintenant arriver à Bertrand Anry ?
M.N.Fréry : Rien jusqu’à 18 ans. Tout dépendra ensuite des décisions de justice.
Propos recueillis par Julien, [Lyon]