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Analyse de la loi d’autonomie par la TUUD de l’UNEF
mercredi 7 novembre 2007, par
La loi « relative aux libertés et aux nouvelles
responsabilités des universités » a
été votée le 10 août dernier. Elle a été
votée discrètement pendant les vacances
scolaires, alors qu’elle était considérée
comme « la plus importante de la législature
» par le premier ministre François
Fillon. Pour nous, elle constitue une nouvelle
étape dans la marchandisation de
l’enseignement supérieur.
Depuis une dizaine d’années, différents
textes sont votés et chacun concourt à
transformer radicalement l’Enseignement
Supérieur. La loi d’autonomie des universités
ne sort donc pas de nulle part, elle
vient compléter un arsenal législatif qui
s’attaque aux principes mêmes de service
public. La principale justification apportée
à ces attaques est l’inadéquation
des formations universitaires par rapport
aux attentes du marché de l’emploi.
Il s’agit donc de donner aux directions
d’universités les moyens d’assurer cette
« adéquation » présentée comme urgente
par nos dirigeants politiques, en transformant
le mode de gestion et de prise de
décision dans les universités. Pourtant,
les diplômes universitaires sont-ils si inutiles,
si inadaptés, au point que les étudiants
se retrouvent à la rue, sans emploi
? Rendre l’école responsable du chômage,
des difficultés d’insertion, est à la mode :
les lycéens ont découvert en 2005 avec la
loi Fillon sur l’école que leur avenir serait
désormais déterminé par leur choix mais
aussi (et surtout) par les besoins prévisibles
de l’économie locale.
Néanmoins, cette adaptation des enseignements
aux besoins du marché renvoie
plus à un choix idéologique qu’à une solution
dictée par les intérêts des étudiants,
des personnels de l’université et de la majorité
de la population. Les diplômés de
l’enseignement supérieur sont aujourd’hui
les plus armés face au chômage et à la
précarité.
Il s’agit pour nous de réfléchir à comment
permettre au plus grand nombre
et particulièrement aux plus défavorisés
d’accéder à l’enseignement supérieur. La
loi d’autonomie va à contresens de cette
démarche et propose de limiter l’accès aux
formations universitaires (liant enseignement
et recherche) à une élite. Voici notre
analyse de cette loi.
La “Nouvelle Gouvernance” : un fonctionnement particulièrement anti-démocratique
La loi dite « libertés et responsabilités
des universités » porte notamment sur la
« gouvernance » des établissements d’enseignement
supérieur. Derrière ce néologisme
on trouve une réforme en profondeur
de l’organisation de l’enseignement
supérieur, une réforme qui amène la réduction
des pouvoirs des conseils (Conseil
d’administration, Conseil des Etudes
et de la Vie Universitaire) et la concentration
d’un grand nombre de responsabilités
entre les mains des instances les
plus restreintes et les moins représentatives
de l’université. Qu’il s’agisse de la
réduction du nombre d’élus étudiants au
sein du conseil d’administration ou de
l’hyperprésidentialisation, tout est mis en
oeuvre pour que la gestion de l’université
échappe à la communauté universitaire,
à la majorité de ceux qui étudient et travaillent
à l’université.
1. Composition et
élection des conseils
a. Composition des
conseils (CA, CEVU, CS)
Le premier élément frappant de cette
modification de la gouvernance des universités
est l’importante baisse de la proportion
d’étudiants et de personnels BIATOS
dans le conseil d’administration (CA)
des universités et inversement, une forte
augmentation du nombre de personnalités
extérieures. Ce conseil est pourtant le plus
important des trois qui régissent l’université
puisqu’il fixe le budget de celle-ci,
défini sa politique générale et doit ratifier
toutes les décisions prises par le CEVU et
le CS pour qu’elles soient valides. Toutes
ces variations sont récapitulées dans le
tableau ci-dessous.
Notons également que la réduction des
effectifs du CA dans une fourchette de 20
à 30 membres nuira gravement à la pluralité
démocratique puisque l’ensemble de
la communauté universitaire ne pourra
pas être représentée au sein d’un si faible
effectif.
De plus, on peut noter que les deux
autres conseils de l’université, le Conseil
Scientifique (CS) et le Conseil des Etudes
et de la Vie Universitaire (CEVU) voient
leur rôle (déjà consultatif) encore diminué.
En effet, les deux conseils perdent
le droit d’émettre des voeux pour voir leur
rôle réduit à simplement donner des avis.
Au final, c’est donc l’instance la moins
démocratique de l’université qui concentre
le plus de pouvoir.
b. Prime à la majorité :
des conseils de plus en
plus monolithiques
Alors qu’à l’heure actuelle la représentation des enseignants-chercheurs se fait
à la proportionnelle stricte, la loi votée à
l’assemblée nationale prévoit un système
de prime à la majorité pour la liste arrivée
première. Concrètement, cela veut dire
qu’une liste arrivant en tête aura d’emblée
50% des sièges et que les 50% restant
seront répartit à la proportionnelle
entre toutes les listes, y compris celle qui
vient déjà de se voir offrir la moitié des
sièges.
Exemple : dans le cas d’une élection
où il y a 8 postes à pourvoir et 3 listes
présentée. Si la première liste fait 35%,
la deuxième 33% et la dernière 32%, la
première liste aura 4 sièges d’office plus
35% des 4 sièges restant, soit 2 sièges.
Au final, la liste 1 aura donc 6 sièges soit
75% des places en ayant réuni 35% des
suffrages.
c. Élection des
personnalités extérieures :
l’université sous influence
Autre recul démocratique important, les
7 à 8 personnalités extérieures du Conseil
d’Administration ne pourront plus être
proposées et élues par les membres du
CA eux-mêmes. Avec cette loi, ce sera le
président de l’université qui nommera les
différentes personnalités extérieures, il
sera juste nécessaire de les faire approuver
par les membres élus. Cette nouvelle
composition des conseils ouvre une voix
royale à la présidentialisation de l’université,
en plus de l’accroissement du poids
des « personnalités extérieures », le nom
pudiquement employé pour désigner des
personnes issues le plus souvent des milieux
patronaux (Chambres de commerce
et d’Industrie, MEDEF...).
2. Une présidence
toute-puissante
a. Mode d’élection
Avec la loi Pécresse, le président d’une
université n’est plus élu par la réunion
des trois conseils de l’université (100 à
140 personnes), mais uniquement par les
membres élus du CA (13 à 22 personnes).
Cela pose un problème de légitimité pour
les présidents puisqu’il paraît difficile que
8 à 14 professeurs élus selon des modalités
anti-démocratiques, 3 à 5 étudiants et
2 à 3 BIATOS puissent avoir la légitimité
suffisante pour désigner un homme doté
de tant de pouvoir.
En limitant l’élection du président de
l’université au seul Conseil d’Administration,
cette loi marginalise encore plus
les deux autres conseils de l’université,
atténuant d’autant la possibilité de voir
un débat démocratique venir contester
les pleins pouvoirs du président et de son
CA.
De plus, il est possible qu’un professeur associé
soit président de l’université,
c’est-à-dire qu’un représentant d’intérêts
privés (entreprises), sans aucune garantie
de compétences pédagogiques, pourra devenir
président.
b. Vice-président étudiant
Une autre des nouveautés de cette loi
est l’instauration obligatoire dans chaque
université d’un vice-président étudiant.
En effet, s’il existait déjà depuis longtemps
des vice-présidents étudiants dans les universités, leur statut, leur mission
et leur mode d’élection n’étaient pas garantis.
Avec la loi Pécresse, c’est le CEVU
de chaque université qui élira en son sein
un vice-président étudiant chargé d’organiser
la vie étudiante et de faire le lien
avec le CROUS.
Si l’instauration obligatoire de cette
vice-présidence étudiante est une avancée
dans la reconnaissance de la capacité des
étudiants à gérer leurs propres affaires, sa
mise en application concrète semble posée
un certain nombre de problèmes.
Tout d’abord, quelle légitimité et quel
poids réel aura un VPE issu du CEVU au
sein d’une équipe issue quant à elle uniquement
du CA et disposant d’une majorité
absolue quasi-certaine au sein de ce
conseil décisionnel ? Il semble bien que la
réponse soit aucun : supprimer. Ensuite,
l’élection par le seul CEVU pose les mêmes
problèmes que l’élection du président par
le seul CA pour ce qui est de la légitimité
à représenter les étudiants lorsque leurs
élus au CA et au CS ne sont pas consultés.
Enfin, la restriction des missions du VPE à
la seule question de la vie étudiante entérine
le fait que tous les autres aspects
de l’université (gestion financière, politique
de recherche...) ne concernent pas les
étudiants ni leurs représentants.
c. Les pouvoirs sur
les personnels
Dernier point mais non des moindres,
les pouvoirs du président de l’université
en matière de gestion du personnel deviennent
considérables. Non seulement il
pourra recruter sur les fonds de l’université,
en CDD ou CDI, n’importe quel type
de personnel y compris des enseignants
et des chercheurs, mais il sera également
responsable de l’attribution des primes à
tous les personnels. Nous nous retrouvons
donc avec un président/chef d’entreprise
dont l’élection dépend majoritairement
de salariés que lui-même ou son prédécesseur
tient sous sa coupe que ce soit
avec la carotte des primes ou le bâton du
licenciement.
Cette loi dote aussi le président de l’université
du pouvoir de recruter, toujours
sur fonds propres de l’université, n’importe
quel étudiant pour des travaux de
tutorat ou de bibliothèque avec le statut
de contractuel, c’est-à-dire sans droits
réels. Cette précarisation de l’emploi dans
l’université permettant aux présidents/
chefs d’entreprises de mettre une pression
supplémentaire sur les fonctionnaires de
l’enseignement supérieur.
De plus, cette remise entre les mains du
seul président de toutes les affectations
ne pourra que renforcer le népotisme et
les recrutements de complaisance au détriment
de la qualité du service public
d’enseignement supérieur et de recherche.
Les universités n’étaient déjà pas du
tout des modèles en terme de fonctionnement
démocratique. Avec cette loi, ce
sont clairement les équipes présidentielles
qui, alliées au patronat local, dirigeront
sans partage les universités. Quelles
seront les conséquences d’un tel type de
gestion ?
Le financement : une privatisation partielle de l’université
Depuis quelques années, de nombreuses
universités françaises (Rouen, Nantes,
Nanterre...) ont tiré la sonnette d’alarme
du fait de la pénurie budgétaire dont
souffrent les établissements. Ils sont confrontés
à un mutisme de l’Etat qui refuse
d’augmenter, ne serait-ce que de manière
symbolique, les fonds alloués aux universités.
L’Etat français consacre environ 1%
du PIB aux universités (moyenne OCDE :
1,4%), et même les Etats-Unis dont le
système d’Enseignement Supérieur est largement
privatisé, consacrent 1,2% de leur
PIB aux universités. Cette différence de
proportion indique que le désengagement
de l’Etat de l’enseignement supérieur est
déjà en route et qu’au final, les universités
sont appelées à ne plus être financées par
l’argent public, mais bien par des fonds
privés ; avec quelles conséquences ?
1. Un budget global
Auparavant, le budget de chaque université
était composé d’une Dotation Globale
de Fonctionnement (DGF) ainsi que de
ressources propres (frais d’inscriptions),
du Contrat Quadriennal et d’autres subventions
(environ 15% du budget)... La
DGF était calculée en fonction des besoins
des universités (volume horaire des enseignements,
entretien des locaux, nombre
de salariés...) et représentait au moins la
moitié des ressources de l’établissement.
Cette source de revenus fixe permettait
que toutes les filières d’un établissement
soient financées en fonction du
volume d’enseignement (qui est la valeur
la moins approximative pour déterminer
le nombre d’étudiants dans un établissement).
Elle garantissait des moyens pour
l’entretien des locaux universitaires ainsi
que des moyens supplémentaires en cas
de travaux d’aménagement. En plus de la
DGF, le Contrat Quadriennal (10 à 15 % du
budget) permettait aux établissements de
recevoir des fonds supplémentaires afin
de les aider au développement de projets
spécifiques. Désormais, le financement
public sera délivré aux universités sous
la forme d’un “contrat pluriannuel” qui ne
garantit plus le financement des filières
puisque les établissements disposeront
d’une autonomie renforcée en matière
budgétaire.
Tous les financements publics seront
alloués avec pour seule contrainte, une
limite pour le nombre de postes de personnels
et pour les fonds servant à payer
leurs salaires (art. 18).
Les chefs d’établissements pourront légalement
favoriser financièrement certaines
filières au détriment d’autres. A
Nanterre (Paris X), l’équipe présidentielle
soutient les filières de droit et d’économie.
Ce choix n’est pas anodin quand on
sait que le centre d’affaires de la Défense
qui abrite de nombreux sièges sociaux de
grandes entreprises est à proximité. Ce
“soutien” risque de s’accentuer au détriment
des autres disciplines de l’Université
(sciences humaines essentiellement),
obligées d’assumer des trous budgétaires.
Il apparaît clair que les formations offrant peu des débouchés directs en terme d’emploi
seront marginalisées et sous financées.
Le discours du gouvernement consiste
à justifier le sous-financement de ces filières
par le fait qu’aucun emploi ne sera
obtenu à la clé, faisant de l’obtention
d’un emploi la seule raison valable d’une
poursuite d’études. La loi d’autonomie
s’appuie sur ce thème explicité par le
rapport Hetzel qui précise « qu’en finançant
les formations, [l’Etat doit] prendre
en compte l’insertion professionnelle des
étudiants » (p.62). Nicolas Sarkozy va encore
plus loin puisqu’il propose d’assécher
en financement public les filières sans
débouché professionnel : « Que des étudiants
veuillent persister dans ces filières,
c’est après tout leur droit. Mais ce n’est
pas le rôle de la collectivité de le financer,
encore moins de les y inciter. » (Convention
UMP, 4/10/2006).
Il apparaît clairement que le principal
critère d’évaluation sera celui de l’insertion
professionnelle. Le problème est
que si l’emploi ne correspond pas exactement
aux études poursuivies, beaucoup
de diplômes dans des filières peu professionnalisées
seront disqualifiés, puisqu’il
n’existe pas forcément de lien direct entre
les études suivies et le futur emploi. L’AERES
(Agence d’Evaluation de la Recherche
et de l’Enseignement Supérieur), va alors
favoriser les établissements répondant à
la mission “d’insertion professionnelle”
de l’enseignement supérieur. Ces derniers
pourront bénéficier de rallonges budgétaires.
développant les inégalités entre les
universités qui accepteront de professionaliser
leurs diplômes et ceux qui maintiendront
des formations “classiques” non
adaptées aux besoins à court terme du
marché de l’emploi. Dès lors le principe
d’égalité dans le financement public des
établissements n’existera plus.
Une des dispositions les plus graves de
la loi, liée à la déréglementation du budget,
est également une des moins connues.
Les universités avaient auparavant
le droit de développer certaines activités
commerciales (vente de brevet, de licences,
prestations de services...). Mais elles
étaient limitées : elles devaient être
strictement auto-financées. Il était interdit
d’investir de l’argent donné par l’Etat
dans ces activités et il était interdit de
réinjecter l’argent généré par ces activités
dans d’autres activités universitaires.
Ces limitations ne sont plus valables et
désormais, il y a un décloisonnement
entre activités commerciales et missions
de service public : la logique commerciale
va contaminer l’enseignement supérieur
d’une manière très directe et concrète.
Avec la modification de l’art. L. 711-1
du code de l’éducation (art.27), les activités
commerciales ne sont plus limitées
aux ressources qu’elles dégagent (autofinancement).
Conséquence : les établissements
peuvent puiser dans leur budget
pour financer ces activités, ou prendre
des prêts... On peut donc parler de “décloisonnement
budgétaire” des activités
commerciales des établissements ou de
“libéralisation du financement” de ces
activités ou encore de “libéralisation de
l’investissement dans des activités à but
lucratif”...
2. Financements privés :
le plus court chemin
vers les inégalités
La solution que propose le gouvernement
à la pénurie budgétaire est le recours
aux financements privés, seuls à
même de renflouer des universités sous
asphyxie. Cette solution englobe donc les
financements d’entreprises comme ceux
des individus (principe du mécénat).
Le moyen pour drainer ces financements
est la création de fondations universitaires
chargées de capter ces fonds privés
dans le but de mener des « oeuvres ou
activités d’intérêt général (...) conformes
aux missions de service public de l’enseignement
supérieur » (art. 28).
L’astuce est que parmi ces « missions »
sont inclues « l’insertion professionnelle »
ainsi que « la diffusion et la valorisation
des résultats [de la recherche] » (art.1).
D’autre part, le pacte pour la recherche
(voté en 2006) fait que des entreprises
peuvent « gérer des contrats de recherche,
exploiter des brevets et licences et
commercialiser les produits de leurs activités
».
Ce cadre législatif permet aux entreprises
de faire de l’argent en exploitant les
activités universitaires en ayant simplement
à justifier que cela permette à certains
étudiants d’accéder à des emplois
qualifiés et que grâce à elles des découvertes
faites dans des laboratoires soient
diffusées à grande échelle (au profit de
l’entreprise bien sûr). En d’autres termes,
l’État met à disposition des entreprises un
centre de recrutement ainsi que des centres
de recherches qui établiront leurs programmes
en fonction de leurs financeurs,
c’est-à-dire les entreprises qui investiront
sur des programmes précis répondant directement
à leurs besoins.
Pour preuve, l’Université Paris Dauphine
(statut de grand établissement) a créée
(avec l’École Polytechnique, et l’ENSAE)
une « Fondation du Risque » en association
avec AXA, AGF, et Groupama (compagnies
d’assurances). Ces trois entreprises
bénéficient de chaires universitaires (postes
d’enseignement et de recherche) aux
noms évocateurs, « Assurance et Risques
Majeurs » ou « Les Particuliers face aux
Risques, analyse et réponses des marchés
».
Pour les entreprises, l’avantage de recruter
dans les établissements d’enseignement
supérieur est qu’elles savent
d’où viennent leurs employés et qu’elles
ont pu directement superviser leurs formations,
selon des critères qu’elles auront
elles-mêmes choisis. C’est cet objectif qui
est fixé par la fondation crée par Renault
en association avec Polytechnique et HEC
(Grandes écoles), puisqu’elle propose
aux diplômés « d’adapter leurs pratiques
managériales aux réalités économiques
et aux diversités culturelles nationales,
professionnelles et organisationnelles. »,
c’est-à-dire conformer leurs connaissances
en management au fonctionnement
d’une multinationale.
Ces investissements sont systématiquement
ciblés sur des domaines qui correspondent
à des besoins en recherche et
développement d’entreprises. Il faut alors
s’attendre à ce que des filières ne comportant
pas d’intérêt pour ces investisseurs
(sciences humaines, lettres, philo...) restent
dans une situation de sous-financement,
qui oblige certains départements à
fermer ou à réduire considérablement leur
offre de formation.
Les universités se retrouvent dans une
situation où elles vont devoir « visibiliser
», vendre leurs formations afin de les
rendre attractives vis-à-vis des financeurs.
Cette politique aura deux conséquences :
l’adaptation des formations aux normes
entreprenariales et une concurrence entre
les établissements qui donneront de plus
en plus de garanties aux entreprises (en
matière financière, pédagogique et surtout décisionnelle).
Pour assurer cette visibilité, les universités
vont devoir faire des choix en matière
budgétaire, et l’immobilier entre ici en
ligne de compte puisque les universités
pourront acheter, vendre librement leurs
propriétés immobilières tant que l’université
peut assurer sa « mission de service
public ». Pour certaines universités, on
peut s’attendre à ce qu’elle sacrifient une
partie de leur patrimoine immobilier pour
assurer leur équilibre financier. D’autres
l’emploieront comme source de revenus
(locations, évènements, spéculations...)
comme cela se fait aux États-Unis.
3. La mise en
concurrence des
universités
Comme on l’a vu, les établissements sont
désormais en concurrence pour l’obtention
des financements, publics ou privés,
et cette concurrence touche toutes les
composantes du système de l’enseignement
supérieur
a. Une concurrence
entre établissements
Le Pacte Pour la Recherche voté en 2006
prévoit la création de Pôle de Recherche
et d’Enseignement Supérieur (PRES). Actuellement,
la concurrence fait rage entre
les universités françaises afin d’obtenir
les meilleurs partenaires pour constituer
ces Pôles.
Les PRES sont des regroupements d’universités,
d’entreprises et de collectivités
territoriales : la mutualisation des moyens
est censée permettre de constituer des
méga-universités qui feront le poids dans
la concurrence internationale. Concrètement,
ce sont de nouvelles entités administratives,
avec de nouvelles instances
qui sont supérieures à celles de l’université.
Il n’y a pas de mal à mutualiser les
moyens et faire collaborer les équipes de
chercheurs, au contraire. Cependant, le
faire dans un contexte de pénurie budgétaire,
sans cadre national des diplômes et
avec des instances contrôlées en grande
partie par les entreprises qui en font partie
et qui apportent le gros des fonds ne peut
conduire qu’à un désastre. Les instances
pilotant ces regroupements d’universités
seront aussi peu démocratiques que les
nouveaux CA. L’autonomie structurelle et
financière permettra de reconfigurer les
différentes composantes des PRES pour
les rendre complémentaires et développer
une orientation particulière, une « excellence
» dans un domaine, pour sortir du
lot. Les PRES sont censés acquérir une
image et une réputation attractives pour
avoir des nouveaux partenaires, plus de financements
et exceller mieux encore, tout
cela pour le « prestige » de la France.
Le problème est que les entreprises fonctionnent
selon leurs intérêts propres (ou
plus précisément en fonction de ceux de
leurs propriétaires) : elles n’agissent pas
en fonction des intérêts des étudiants et
des travailleurs. Les entreprises ont deux
moyens d’optimiser leurs partenariats
avec les universités. Soit elles profitent
de la réputation d’universités ayant déjà
une certaine image (la Sorbonne, par
exemple) pour gagner en prestige et en
à moindres frais. Soit, là où il n’y pas
vraiment d’excellence, elles nouent des
partenariats avec les universités (sans
forcément constituer un PRES) où elles
favorisent des formations courtes et professionnalisantes
(à Nanterre, en STAPS,
une licence pro « Gestion des services
sportifs et de loisirs » vient de s’ouvrir
en association avec le Club Med gym et
Forest Hill) qui leur permettent de recruter
une main d’oeuvre rentable immédiatement,
car formée selon ses moindres
désirs, et mal protégée, car les diplômes
pro sont des sous-diplômes en termes de
droits pour le diplômé dans le monde du
travail (pas de reconnaissance dans les
conventions collectives, aucune garantie
de salaire...). De plus les Licences pro
sont sélectives et ne donnent pas accès
de plein droit au M1. Les universités rivalisent
donc d’ardeur pour développer
l’un de ces deux profils : des formations
longues prestigieuses (pour former des
chercheurs, des ingénieurs, des managers,
bref : des cadres et travailleurs très hautement
qualifiés) ou des formations courtes
professionnalisantes, pour former les
futures armées de travailleurs précaires
sans droits.
b. Concurrence entre filières
Les universités feront donc des pieds et
des mains pour obtenir des financements
privés pour des filières et des programmes
de recherche qui seront profitables pour
les entreprises, ou ne favorisant pas « l’insertion
professionnelle » des étudiants.
Sarkozy en parlant de mettre « des limites
au financement de filières sans débouchés
» proposent littéralement aux universités
d’abandonner les filières qui ne répondent
à ces critères « d’employabilité ». Les universités
et les filières devront se concentrer
sur des filières vues comme rentables
: la logique du privé contamine le service
public. Pour les autres filières, seul un
nombre limité d’universités d’excellence
continueront à en dispenser l’enseignement.
Déjà, dans de nombreuses universités,
l’asphyxie des filières comme la philosophie,
les lettres modernes... est déjà en
marche : les baisses drastiques du nombre
de postes aux concours d’enseignement
découragent les étudiants de s’inscrire
dans ce type de filières. Les gouvernements,
directement responsables de ces
baisses ont beau jeu ensuite de dire : « Il
faut que les étudiants arrêtent de s’orienter
vers des filières sans débouchés professionnels
» !
Ces filières sont souvent sous-financées,
et les conditions d’évaluation des étudiants
peuvent s’avérer indécentes : une
dissertation en L3 de Lettres Modernes
s’effectuant en 1h30 (Nanterre), la fac
n’ayant pas les moyens de mobiliser des
surveillants pour les examens. En alimentant
la pénurie, l’Etat joue la carte du
pourrissement, incitant de fait les établissements à fermer boutique ou à faire
monter les prix pour les frais d’inscriptions
(de manière illégale, pour l’instant, dans
une quarantaine d’universités).
c. Concurrence
entre étudiants
Chaque étudiant se verra livré à lui-même.
Le développement des licences pro, des
D.U (dont les frais peuvent s’élever à des
milliers d’euros), mais aussi de l’annexe
descriptive au diplôme feront que chaque
étudiant disposera en réalité d’un diplôme
différent de celui du voisin. L’autonomie
structurelle va accentuer l’autonomie pédagogique
des établissements, effective
depuis la mise en place du LMD. Il faut
alors s’attendre à ce que le diplôme ne
soit plus une certification nationale (ou
européenne) mais simplement un document
qui rende compte du parcours individuel
de l’étudiant dont la qualité sera
également jugé au vu de l’établissement
où le diplôme a été obtenu.
d. Pourquoi la mise en
concurrence ? l’arnaque des
classements internationaux
Cette volonté de mettre en concurrence
les établissements s’appuie sur les divers
classements internationaux (comme
celui de Shanghai) qui place la France
dans les derniers rangs pour la qualité
des universités françaises. La volonté du
gouvernement est de faire remonter les
établissements au classement de manière
artificielle, par exemple en faisant se fusionner
plusieurs établissements afin de
créer une méga-université (comme avec
la convention Paris-Universitas) qui puisse
se mêler aux tout meilleurs.
Pourtant, ces classements sont réducteurs
et souvent ne prennent en compte
que peu de disciplines (sciences dures,
économie). Ils écartent également le
fait que les « meilleurs » établissements
sont souvent les plus inaccessibles (Pour
entrer à Harvard, 1ère au classement de
Shanghai, il faut débourser entre 30
et 50 milles euros), tout en refusant de
prendre compte le rôle de promotion sociale
que peut avoir l’enseignement supérieur.
De plus, parmi les critères décisifs
du classement, entre en ligne de compte...
le salaire des étudiants diplômés de
ces établissement 3 ans après leur sortie.
Est-ce que l’argent gagné à l’arrivée est le
meilleur critère d’évaluation de la qualité
de l’enseignement ? Drôle de conception
de l’éducation...
La course aux premières places a amené
nombre d’universités anglaises ou américaines
à faire monter les prix pour s’assurer
que seule l’élite pourrait accéder à ces
établissements (au Royaume-Uni, une année
universitaire coûte entre 1150 euros
et 4000 euros), au point que dans ces pays
mêmes les « classes moyennes » ont de
grandes difficultés à intégrer les meilleurs
établissements. Le risque est de voir cette
inflation se développer, au prétexte d’être
« dans les meilleurs », et de voir les universités
les plus prestigieuses (comme Paris
VI, Sorbonne) durcir leurs conditions
de recrutements à la manière des grandes
écoles (type HEC, Sciences Po. Paris) qui
opèrent ouvertement une sélection sociale,
et des possibilités d’accès réduites
pour les plus modestes via des bourses au
mérite (discrimination positive), laissant
les formations les plus courtes à la charge
d’universités de proximité qui répondrait
« aux besoins prévisibles de l’économie en
main d’oeuvre qualifiée ».
Dans la peau d’un étudiant
Jouons à un jeu : je suis lycéen, après
mon bac, je souhaite m’inscrire à l’université.
Voilà à quoi je suis désormais confronté
: une procédure d’orientation active
! Je peux « toujours » m’inscrire dans
la filière de mon choix (art. 20) « sous
réserve d’avoir, au préalable, sollicité une
préinscription ». Je n’ai même pas encore
passé mon baccalauréat et pourtant j’ai
déjà intérêt à savoir exactement ce que
je veux faire et dans quelle université je
veux aller puisque je dois entamer les démarches
dès le mois de mars. Mais comme
cette procédure n’est pas détaillée dans
la loi, chaque université peut mettre en
place la sienne et je n’aurais aucun moyen
de savoir si je n’ai pas subi une sélection
déguisée...
1. L’appât
Si j’arrive à m’inscrire dans la filière que
je souhaite mais si, pour mon plus grand
malheur, cette filière « conduit au chômage
» (N. Sarkozy, 14 avril 2007), je ne sais
pas jusqu’à quand mes frais d’inscriptions
resteront fixés nationalement parce que
Nicolas Sarkozy m’a prévenu : « Vous avez
le droit de faire littérature ancienne, mais
le contribuable n’a pas forcément à payer
vos études de littérature ancienne ».
Si j’ai été découragé dans mon premier
choix (ce qui est fort probable) en pensant
que je n’avais aucune chance ni de réussir
mes études ni par la suite de trouver un
emploi, (art. 20 « Les établissements dispensant
des formations sanctionnées par
un diplôme d’études supérieures rendent
publiques des statistiques comportant
des indicateurs de réussite aux examens
et aux diplômes, de poursuite d’études et
d’insertion professionnelle des étudiants
» ), je me rabattrais sur une filière professionnelle.
Effectivement, avec le nombre
important de personnalités extérieures
présentes dans le CA et leur possibilité de
déterminer le contenu des diplômes celles-
ci seront encore plus nombreuses et
bien mieux adaptées à l’emploi local...
2. Le piège !
Pourquoi l’université
n’est pas responsable
du chômage
Ce lycéen est tombé dans le piège qui
consiste à nous faire croire que c’est l’université
qui est responsable du chômage
et que si l’on professionnalise à outrance
les filières, les jeunes seront mieux préparées
au monde de l’entreprise. On nous
vante les faux mérites d’un éventail de
compétences alors que ce que nous revendiquons
c’est l’acquisition de diplômes
nationaux reconnus dans les conventions
collectives contraignant les employeurs
sur les salaires et les classifications. De
plus, ces licences pro, dont le nombre
va s’envoler, constituent des formations
complètement déconnectées de la recherche.
Les enseignements seront dispensés
uniquement (ou en grande majorité) par des intervenants extérieurs tandis que
les cours dispensés par des enseignants
chercheurs dans les autres filières seront
réservés à une élite !
En réalité, derrière le discours sur « la
nécessaire professionnalisation de l’enseignement
supérieur » et « l’inadaptation
de l’université aux réalités du monde du
travail » se cache un gigantesque bluff.
En réalité, la professionnalisation ne peut
résoudre le chômage.
Commençons par un argument de bon
sens : imaginons que 100 étudiants sortent
de l’enseignement supérieur pourvus
d’un diplôme « classique ». S’il n’y a que
80 emplois disponibles, on aura beau professionnaliser
les diplômes de l’ensemble
de ces étudiants, il y aura toujours 20
chômeurs à l’arrivée.
Il existe certes des emplois qui ne sont
pas pourvus faute de candidat disposant
de la qualification requise. Mais ce chiffre
est estimé à 10% (Source : Samuel Joshua).
L’énorme majorité des chômeurs le
sont non pas parce qu’ils ne sont pas correctement
formés mais parce qu’il n’y a
pas suffisamment d’emplois disponibles.
Observons également que disposer d’un
diplôme constitue clairement une protection
dans le monde du travail, même si
évidemment elle n’est pas absolue. Les
chiffres parlent d’eux-mêmes :
« Il y a (...) une grande précarité qui se
concentre sur 20% des jeunes, ceux qui
sortent de l’école avec au plus le brevet
des collèges : pour eux, trois ans après
l’entrée dans la vie active, le taux de
chômage se situe entre 30 et 40% tandis
qu’à peine plus de la moitié sont en
CDI. Les 40% qui entrent dans la vie active
avec un niveau de formation allant
du CAP-BEP à une ou deux années de fac
sans diplôme (à l’exception notable des
bacheliers industriels) ont eux un taux de
chômage trois ans plus tard de 15 à 20%
et sont pour plus de 60% en CDI. Quant
aux 40% restant, qui arrivent sur le marché
du travail avec un diplôme égal ou
supérieur à bac+2 (ou un bac industriel),
ils connaissent trois ans plus tard un taux
de chômage inférieur à 10% et sont pour
les trois quarts en CDI (un tiers l’étant dès
la première embauche) : rien à voir avec
la précarité des sans formation. » (Extrait
de « En finir avec les mesures en faveur
de l’emploi des jeunes », www.local.attac.
org/93sud/spip.php ?article90). En clair :
plus on est diplômé, plus on a de chance
d’échapper au chômage.
A ce stade du raisonnement on trouvera
toujours un étudiant qui dira : « Oui mais
MOI si je ME professionnalise, j’ai plus
de chances de trouver un emploi que les
autres à la sortie de ma fac. » Ce qui est
vrai, mais uniquement à titre individuel et
à court terme. A court terme : les diplômes
professionnalisés ne donnent pas accès à
de réelles qualifications. Auparavant, un
diplôme donnait accès à une qualification
reconnue dans les conventions collectives,
une qualification qui était acquise
pour toute la vie : quelqu’un qui a acquis
un diplôme avait un certain nombre de
droits très précis, garantis à vie, comme
le fait d’avoir accès à certains concours,
d’être embauché à tel niveau de salaire,
etc... Les diplômes de type Licence pro
sont la plupart du temps du mauvais enseignement
professionnel : il ne s’agit pas
de transmettre des connaissances, de former
les futurs salariés à la maîtrise d’un
domaine, d’une discipline en plus de l’acquisition
d’une culture générale, il s’agit
d’inculquer des compétences ponctuelles
(savoir utiliser des phrases types en anglais,
utiliser Word et Excel, savoir lire
un bilan financier...) dans le but d’occuper
un poste précis dans une entreprise
précise. Mais ces compétences sont rapidement
dépassées, et le diplôme devient
obsolète en plus de ne donner aucun droit
précis puisqu’il n’est que local, lié le plus
souvent à une entreprise locale.
Et ce n’est vrai qu’individuellement, car
si on généralise la professionnalisation,
on y perd tous en tant que futurs salariés
: « Focalisons notre attention sur une situation
concrète (bien que due à la pure
imagination de l’auteur de ces lignes). Albert
est patron d’une pizzeria. Ses affaires
marchent bien et il a besoin d’un pizzaïolo
supplémentaire. José et Arthur sont au
chômage (ou sortent de l’école) et posent
leur candidature. Qui Albert va-t-il engager
? Envisageons trois hypothèses :
– 1ère hypothèse : José a suivi une formation
de pizzaïolo dans une école réputée,
équipée de fours à pizzas modernes et
dont les enseignants se sont renseignés
sur les besoins précis d’une pizzeria au
début du 21ème siècle. De plus, José a pu
effectuer des stages dans plusieurs pizzerias
de renom. Arthur lui n’a pas appris
à cuire de pizzas ou il a fréquenté une
école mal équipée et n’a pas trouvé de
place pour un stage. Dans ce cas, le choix
d’Albert sera bien sûr vite fait : il engagera
José.
– 2ème hypothèse : José et Arthur ont
tous les deux suivis une formation dans
l’école attribuée ci-dessus au seul José.
Albert les engagera-t-il tous les deux ?
Non évidemment. Lequel alors ? Albert
peut choisir un critère objectif (celui qui
a envoyé le premier son CV ou celui qui a
obtenu le plus de points) ou subjectif (la
tête du client). Mais quoi qu’il en soit, un
seul des deux sera engagé. Et si Albert
a vraiment le « sens des affaires », que
fera-t-il ? Il dira qu’il faut travailler le samedi
soir, mais aussi le dimanche et que
ces heures ne seront pas mieux payées
qu’en semaine. Qu’en période d’affluence,
il faudra faire des heures supplémentaires
mais pas payées comme telles et il fera
ainsi monter les « enchères ». Finalement,
il engagera celui qui accepte le plus de
se mettre à plat ventre notamment aussi
d’un point de vue salarial (mettons José).
Qui y aura le plus gagné, Albert, José ou
Arthur ? Je vous laisse juge ...
– 3ème hypothèse : Ni José ni Arthur n’ont
reçu une formation spécifique de pizzaïolo.
C’est bien simple, une telle formation
n’existe pas. Albert renoncera-t-il à engager
quelqu’un ? C’est très peu probable vu
que s’il « offre » un emploi, c’est qu’il estime
que son nouvel employé lui rapportera
plus qu’il ne lui coûtera. Il engagera
donc celui qu’il estime le plus à même de
faire ce travail (mettons Arthur). Mais il
faudra bien qu’il lui apprenne lui-même à
préparer et à cuire des pizzas. Au début,
Arthur ne permettra pas d’accueillir beaucoup
de convives en plus car Albert (ou
un autre employé) devra travailler avec lui
pour lui apprendre le métier. Mais après quelque temps, Arthur sera devenu un expert
et la situation deviendra pour Albert
la même que dans la première hypothèse.
Il aura simplement eu moins de bénéfices
pendant un certain temps.
Comme on le voit, le bilan en termes de
création d’emplois est rigoureusement le
même dans les trois cas : il ne dépend pas
de l’école.
Qui profite alors d’un système éducatif
adapté aux attentes d’Albert (patron) ?
Albert et lui seul. On constate même que
si ce système est trop bien adapté aux attentes
d’Albert, José et Arthur y perdront
: José travaillera dur pour un salaire tiré
vers le bas tandis qu’Arthur sera quand
même au chômage. Et si des fois José
était vraiment très zélé, il pourrait même
venir à l’idée d’Albert de se passer d’un
autre pizzaïolo (José faisant le travail
pour deux). Dans ce cas, le bon niveau de
qualification de José provoquerait plutôt
une perte d’emploi ! » (Extrait de « Adapter
l’école pour créer des emplois ? » de
J-P Kerckhofs, disponible sur le site ecoledemocratique.
org).
On voit que la professionnalisation consiste
à faire prendre en charge le coût de
la formation professionnelle qui auparavant
(pendant les 30 glorieuses) était
pris en charge par les entreprises, qui formaient
les salariés « sur le tas ». Avec la
crise, les entreprises veulent externaliser
ce coût, tout en affaiblissant les garanties
collectives que constituent les diplômes
nationaux.
N’oublions pas que chômage est d’abord
produit par les entreprises et les gouvernements
: ce sont les grandes entreprises
qui licencient en masse depuis des
années. Ce sont les gouvernements qui
depuis plus de 10 ans réduisent les places
aux concours, privant des étudiants
de débouchés, alors qu’il y a besoin de
plus de profs, de personnels de santé...
Une politique de création d’emplois publics
est possible et permettrait à de nombreux
étudiants de s’en sortir. Mais il faut
le vouloir et s’en donner les moyens.
“Réformes de l’enseignement supérieur” : une logique globale
La loi sur l’autonomie, comme précédemment
de nombreuses réformes, est une
traduction politique de la “Stratégie de
Lisbonne”. En mars 2000, lors du conseil
européen de Lisbonne, les chefs d’Etats
européens s’étaient fixés pour objectif de
faire de l’Union Européenne « l’économie
de la connaissance la plus compétitive et
la plus dynamique au monde d’ici à 2010
». Cette “ambition” s’inscrit dans la continuité
de la Déclaration de Bologne de
juin 1999 qui prévoit au niveau européen
la mise en place des ECTS, de l’annexe
descriptive au diplôme, ainsi que d’une
séparation claire entre la licence (L) et
le master et le doctorat (MD), le niveau
licence étant jugé “approprié pour l’insertion
sur le marché du travail européen”.
Sous prétexte d’harmonisation européenne,
c’est pourtant la logique libérale de
marchandisation de l’éducation qui est
engagé au niveau européen, par le biais
des institutions de l’UE comme la commission
européenne.
Ainsi, en 2003, le gouvernement Raffarin
faisait passer les réformes LMD (Licence
Master Doctorat) et LMU (Loi de Modernisation
Universitaire). Après d’importants
mouvements étudiants à l’automne 2003,
la LMU a été retirée.
Le principe du LMD est d’instaurer l’autonomie
pédagogique des établissements :
chaque fac définit désormais ses propres
diplômes, avec des intitulés, des contenus,
des modalités de contrôle de connaissance
différents. Du coup, on n’a plus affaire
à des diplômes nationaux, avec des critères
nationaux, qui confèrent au diplôme
une reconnaissance au niveau nationale
dans les conventions collectives. Concrètement,
avant le LMD, deux BAC+3 passés
dans deux facs différentes donnaient accès
aux mêmes droits à l’embauche dans
une même entreprise. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui : l’attaque contre les diplômes
nationaux est non seulement une attaque
contre les conditions d’études mais également
contre les droits collectifs des futurs
travailleurs.
L’autonomie financière et structurelle de
2007 complète l’autonomie pédagogique
de 2003 : dans la nouvelle loi, les universités
ont la possibilités de (re)définir
à leur guise les UFR, les domaines de formations...
La LMU, quant à elle, prévoyait le budget
global, des changements dans l’administration
de l’université et la mise en place
des EPCU (Etablissement Public de Coopération
Universitaire). N’ayant pu imposer
cette réforme entièrement, le gouvernement
essaie alors de la faire passer en
plusieurs fois : on retrouve les EPCU sous
la forme des PRES (Pôle de Recherche et
d’enseignement Supérieur) dans la Loi
pour la recherche d’avril 2006...
Au niveau budgétaire et financier, ces réformes
s’articulent à partir de la LOLF (Loi
Organique relative aux Lois de Finance)
votée en 2001 et qui conditionne le financement
des services publics à l’obtention
de résultats et à la réalisation d’objectifs
ce qui concrètement oblige l’université à
rentrer dans une logique de rentabilité
marchande.
En outre, la réforme des Écoles Doctorales permet aux établissements privés de
délivrer des doctorats alors que ceux-ci
peuvent sélectionner à l’entrée, demander
des frais d’inscription prohibitifs aux étudiants...
Un coup de plus est porté aux
services publics en encourageant la concurrence
entre les établissements publics
et privés, jusqu’au niveau du doctorat et
de la recherche.
Et bien d’autres
encore si nous nous
laissons faire...
L’année dernière, nous avons réussi à faire
reculer le gouvernement deux fois lorsqu’il
tentait, par un arrêté, d’instaurer la
sélection à l’entrée du Master 1 et d’autoriser
les établissements privés à délivrer
des masters. Après la création des PRES,
la réforme sur l’autonomie des universités
qui instaurent un enseignement supérieur
à deux vitesses, il est nécessaire, pour les
libéraux de créer une réelle césure entre
L et M (comme le propose la déclaration
de Bologne). Le but étant de créer d’un
côté des universités qui délivrerons uniquement
des licences, formations courtes
et professionnalisantes qui ne permettent
pas d’avoir de réelles qualifications et de
l’autre côté des universités qui offrirons
des formations “d’élite” allant de la Licence
au Doctorat. Dans ce cadre-là, nous
pouvons être sûrs que la sélection à l’entrée
du Master redeviendra très vite une
priorité pour le gouvernement actuel.
La loi sur l’autonomie des universités
installe le désengagement financier de
l’Etat, la précarisation des personnels...
D’une part, avec les différentes réformes,
les pôles d’excellence recevront la majorité
des financements publics, attireront le
plus de fonds privés, les profs les plus renommés
et recruteront “l’élite étudiante”.
Les petites universités seront ouvertes à
tous mais devront se contenter des faibles
financements et ne pourront délivrer
que des licences professionnelles répondant
aux besoins des entreprises locales.
D’autre part, l’ANR (Agence National pour
la Recherche) est créée par la Loi sur la
Recherche. Cette agence finance la recherche
uniquement sur projets et encourage
encore les universités à entrer dans une
logique de rentabilité.
La Loi sur l’autonomie complète donc les
réformes précédentes et institutionnalise
la marchandisation de l’enseignement supérieur
en déréglementant le fonctionnement,
la structuration et le financement
du service public.
Dans les filets
du patronat
Sur le plan structurel, la Loi Sur la
Recherche avait ouvert une brèche avec
la constitution des Pôle Recherche et
d’Enseignement Supérieur(PRES) , la loi
d’autonomie des universités s’y engouffre
! L’État financera les filières dites « rentables
», les autres, dépourvues de moyens
seront appelées à disparaître à plus ou
moins long terme, si ce n’est dans quelques
pôles d’excellence rendus innacessibles
par le poids des frais de scolarité...
Les universités riches constitueront les
pôles d’excellence tandis que celles qui
n’auront ni les moyens de gérer leurs bâtiments
ni d’embaucher des personnels et
enseignants mettront en place des filières
pro... Ces universités se serviront de
la préinscription (art.20) pour gérer le
flux d’étudiants en fonction des débouchés
proposés par le marché de l’emploi.
Les facs d’élites trieront sur le volet les
étudiants, tandis que ceux que la procédure
d’orientation active ou le manque de
moyens découragera se retrouveront dans
les collèges universitaires avec des diplômes
leur permettant d’accéder à un emploi,
jusqu’à ce que la PME locale mette la
clé sous la porte...
La troisième (nouvelle !) mission de
l’université est d’assurer « l’orientation et
l’insertion professionnelle » (art. 1er). Or
la façon dont la loi propose de les mettre
en place ressemble plus à de la sélection
déguisée à l’entrée de l’université
et à de l’ultra professionnalisation des
filières offrant ainsi aux employeurs une
main d’oeuvre bon marché, soumise et exploitée
dont l’esprit critique est réduit à
néant. Cette réforme semble oublier que
la Mission du Service Public d’Enseignement
Supérieur est de permettre à toutes
et tous l’accès aux savoirs et à un diplôme
qualifiant offrant la possibilité de s’insérer
convenablement dans la vie active !
Une seule solution :
l’abrogation !
Face à cette réforme et au projet de libéralisation
dans lequel elle s’insère, une
seule attitude s’impose : exiger l’abrogation
de cette loi dont chaque article contredit
le projet d’un enseignement supérieur
de qualité ouvert à tous.
Seule la grève pourra l’imposer. A nous
tous de convaincre de la double nécessité
de l’abrogation et de la grève.