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L’autogestion.

vendredi 5 janvier 2007, par JCR Le Mans

Autogestion (Support formation LCR / JCR Sarthe)

Introduction

Le terme d’autogestion possède une histoire aussi longue qu’a pu être variable sa définition. En dehors de la notion marxiste révolutionnaire que l’exposé va tenter d’éclairer, on peut repérer trois courants qui se réfèrent au terme avec une signification différente.

 Il a d’abord servi à renommer une idée ancienne que l’on doit au syndicalisme révolutionnaire : l’idée de gestion ouvrière qui a comme caractéristique de laisser entre parenthèses le problème de l’Etat : la transformation révolutionnaire s’appuierait essentiellement sur des collectifs de travailleurs qui remettraient en marche la production selon une organisation collective au service de la classe ouvrière. Cette gestion ouvrière a été rebaptisée dans les années 50 autogestion.

 Un courant tout aussi ancien peut reprendre le terme : le courant coopérativiste assez puissant à certaines époques et dans certains pays : les travailleurs s’associent dans des coopératives de production et de consommation pour se libérer de la tyrannie du capital ou simplement sauver l’entreprise et leur emploi. A l’origine régnait l’idée que la coopération , plus satisfaisante pour les travailleurs remplacerait progressivement la propriété privée. Ce n’a pas été les cas, mais encore aujourd’hui en France, il existe 3000 coopératives de production avec environ 30000 coopérateurs associés.

 Enfin un courant politique plus récent autour du PSU et de la CFDT s’est emparé du terme dans les années 60 et 70 pour définir des idéologies assez variées oscillant entre le syndicalisme révolutionnaire et la collaboration de classe, avec comme matrice commune le refus de la gestion étatique et autoritaire des entreprises nationalisée ou du socialisme bureaucratique.

On définira en trois temps l’autogestion marxiste révolutionnaire

 une analyse historique et sociale qui montre que cette question se pose inévitablement dans tout mouvement social profond de la classe ouvrière.

 Une analyse des avancées et des limites d’une expérience durable d’autogestion à dimension nationale : la Yougoslavie.

 Enfin une approche rapide des problèmes posés par le terme et des éléments de solutions

I) l’expérience historique de la gestion ouvrière

a) la lutte des classes

la lutte des classes se déroule d’abord et inévitablement sur le terrain économique de l’entreprise avant de s’étendre ou pas sur le terrain politique. La plus modeste grève conteste le pouvoir patronal sur l’entreprise et son droit à la propriété des moyens de production :

 La grève perturbe le déroulement normal du système et attaque très rapidement la répartition de fruits du travail (contrôle de stocks et des produits finis, opposition au déménagement des machines) ou de son organisation (opposition à l’emploi de non-grévistes)

 Lorsque la grève dure, la question de l’emploi de l’outil de production au service des travailleurs se pose rapidement : remise en marche de l’entreprise sur la base d’une organisation alternative et collective du travail(décisions, rythmes : cf. Lip en 1973)

b) le contrôle ouvrier

Il y donc une tendance "naturelle"(c-a-d fondée sur l’opposition permanente entre travail et capital)de la part du collectif des travailleurs à intervenir dans l’organisation de la production. Cela fonde ce qu’on appelle le contrôle ouvrier lorsque cette intervention s’articule autour de revendications : droit de veto du CE ou des délégués dans tel ou tel domaine ( santé, danger), négociation sur les cadences, droit de regard sur les objectifs de l’entreprise etc. . le rapport de force peut permettre parfois l’institutionnalisation plus ou moins durable de certaines mesures. Lorsque ces mesures ne remettent pas en cause les objectifs finaux du capital, on peut s’installer dans une cogestion de l’entreprise avec le patronat ( cf. l’Allemagne pendant longtemps). Mais lorsque le rapport de force s’inverse, le patronat reprend l’offensive(cf. l’Allemagne aujourd’hui).

Quand ces revendications sont définies par l’intérêt collectif des travailleurs (c-a-d au delà de l’entreprise elle-même) elles sont une composante essentielle d’une stratégie révolutionnaire. En effet les travailleurs seront d’autant plus persuadés de l’intérêt d’un renversement révolutionnaire qu’ils pourront en mesurer les effets dans leur travail. A contrario, l’expérience de l’URSS et des pays de l’Est montre que malgré des résultats appréciables, la gestion autoritaire des entreprises a fini par susciter à la longue un désintérêt quant à la propriété collective des moyens de production. L’histoire montre que tout mouvement révolutionnaire profond voit naître des expériences d’autogestion , de gestion directe de la production par les travailleurs.

c) la révolution russe

Curieusement(?) la révolution la plus durable et la plus importante, la révolution russe a connu les expériences les plus limitées. A l’origine la direction bolchevique prévoyait un contrôle de l’Etat sur le entreprises qui resteraient formellement privées. En fait, l’abandon par les propriétaires des entreprises et les aspiration de travailleurs ont amené à une collectivisation généralisée. Après une tentative de gestion par les syndicats puis une gestion mixte syndicats-Etat on s’est rapidement orienté vers une direction autoritaire des entreprises du fait de la faiblesse numérique de la classe ouvrière sollicitée pour lutter sur tous les fronts et du niveau dramatiquement bas de la production. Malgré les tentatives de l’opposition ouvrière pour poser le problème aux débuts de la Révolution, ce système a perduré.

d) la révolution espagnole

Plus spectaculairement la révolution espagnole en Catalogne,du fait de la forte implantation anarcho-syndicaliste de la CNT FAI, a vu une remise en marche des entreprises sous la direction de collectifs de travailleurs : usines, transports, services etc. Cette expérience, qui a duré quelques mois avant d’être progressivement normalisée et contrôlée par les autorités républicaines, a montré la possibilité de faire fonctionner( plus ou moins bien) une économie moderne sous la direction des travailleurs associés.

e) la résistance et les nationalisations

de même à la Libération, on vit quelques expérience de gestion ouvrières ( cf. "Mes années Caudron" de S.Minguet) vite étouffées par le P.C.F. et les gaullistes qui leur substitueront un vaste plan de nationalisation de secteurs économiques importants : énergie, mines assurances banques pétrole tout en nationalisant quelques entreprises dont les propriétaires s’étaient plus visiblement compromis que les autres dans la collaboration : Renault.. Néanmoins cette propriété nationale a assuré par exemple pendant longtemps une vie syndicale active à la Régie Renault, à comparer avec l’antisyndicalisme qui régnait alors dans les autres secteurs de l’automobile : Peugeot, Citroën ,Simca.

f) l’Argentine aujourd’hui

Après l’effondrement de l’économie argentine, des centaines d’entreprises ont été abandonnées par leurs propriétaires. Pour survivre les travailleurs s’en sont emparé, en ont occupé environ 150 et ont tenté de les remettre en marche, comme l’entreprise de textile Brukman où les travailleurs ont récupéré les clients, remboursé les dettes aux services publics, réparé les machines et fait fonctionner l’usine. Evidemment l’Etat a commencé à réprimer ces usines devenues des points de repère pour un mouvement populaire combatif. Cependant, comme le souligne la résolution du bureau exécutif de la IV° Internationale le 22-04-03, "Les travailleurs et les travailleuses des usines remises en marche en Argentine démontrent tous les jours que les entreprises peuvent fonctionner sans patrons alors que ceux-ci ne peuvent les faire fonctionner sans les travailleurs"


II) l’expérience yougoslave

L’autogestion yougoslave fut l’objet d’un engouement particulier dans les années 60-70 (en France notamment autour de la CFDT et du PSU). Les courants marxistes anti-staliniens ont mis l’accent sur les questions de l’auto-organisation des travailleurs, en soulignant l’apport et les limites de l’autogestion yougoslave sur ce plan.

Pour nous l’intérêt de revenir aujourd’hui sur le cas Yougoslave tient au fait que :

 c’est à notre connaissance une des seules expériences concrètes de mise en place d’un système autogéré sur une aussi longue période

 et aussi à son échec final dans la décennie 1980-1990 suivie d’une guerre complexe de type nationaliste qui a abouti à l’éclatement de la Fédération Yougoslave.

Echec qui doit nous amener à nous demander en quoi l’autogestion à la yougoslave n’ a pas répondu aux aspirations des populations.

la crise de l’autogestion yougoslave

L’introduction des droits d’autogestion dans les entreprises yougoslaves à partir des années 1950 a donné jusqu’au début des années 1980 des « marges » de démocratie sans commune mesure avec ce que tolérait la planification soviétique hypercentralisée, ou ce que n’importe quel système capitaliste n’aurait pu tolérer.

Mais le système n’a jamais donné aux autogestionnaires les moyens d’une cohérence d’ensemble, articulant des droits de gestion au plan de l’entreprise et l’économie toute entière.

Avant 1950.

La nationalisation, par étatisation, des moyens de production, activement poussée dès la fin de la guerre s’est étendue à toutes les activités économiques, dès 1948.

Ceci a abouti à la mise en place d’un système administratif rigoureusement centralisé et fondé sur le principe d’une étroite subordination hiérarchique des organes de direction de l’économie ( de la direction d’entreprise au gouvernement central ). Le gouvernement et les ministres se chargeaient, dans le cadre du plan d’Etat fixant le programme de production de chaque entreprise, de diriger l’ensemble de l’économie. En bref, c’est la mise en place d’un système à la soviétique.

Ce système va être remis en cause, par la direction Yougoslave elle-même, suite à la rupture de 1948 avec l’URSS pour resouder une base autour de la direction Tito engage des réformes qui vont de paire : accentuation du fédéralisme et autogestion des entreprises.
L’ expérience autogestionnaire en Yougoslavie a connu plusieurs phases.

La première phase (1953-1965)

Elle a connu les plus forts taux de croissance.

Mais elle fut interrompue, malgré ses succès, notamment sous pression d’une autogestion « étouffée par le plan mais aussi sous pression des républiques riches contre des formes de redistribution contestées (souvent opaques).

On pouvait alors soit démocratiser soit démanteler le plan…

C’est la deuxième variante qui fut choisie par le Parti/Etat, préservant ainsi son monopole de pouvoir en élargissant les mécanismes marchands…


La deuxième phase (1965-1974)

Elle a été, au contraire, la phase d’une « autogestion étouffée par le marché » : les mécanismes de la planification ont été démantelé au profit d’une augmentation du pouvoir des banques et d’une mise en concurrence des entreprises (dotées en même temps de droit de gestion plus grands) sur le marché.

Le creusement des écarts de revenus entre entreprises et régions, le développement du chômage et la montée de l’inflation ont suscité une multiplication de grèves ouvrières et universitaires entre 1968 et 1971 contre les inégalités croissantes, contre « la bourgeoisie rouge », pour une « autogestion de bas en haut » .

Une des questions majeures souvent analysée dans les enquêtes était alors la montée des pouvoirs technocratiques et bancaires, avec des formes de « délégation de pouvoir » des autogestionnaires vers les « experts ». Les droits de gestion des travailleurs se concentraient sur ce que ceux-ci parvenaient à maîtriser le plus : ce qui relevait du court terme et du concret : l’affectation des revenus. Mais les questions de « stratégie » d’investissements, de financement, de rapports avec les autres entreprises étaient, présentées d’une façon telle par les « experts » (quantités de textes, langage, etc) que la délégation de pouvoir l’emportait… Jusqu’à ce que les conséquences des choix se fassent sentir et provoquent toutes sortes de résistances et finalement, des grèves.
Le régime répondait à ces résistances pour les contenir localement.

Parallèlement, la désagrégation des solidarités entre régions s’exprimait par les revendications émanant des directions des républiques les plus riches (Slovénie et Croatie) visant à conserver l’intégralité des ressources en devises provenant de leurs échanges. L’absence de transparence et de contrôle public des fonds d’aide aux régions les moins développées au lieu de déboucher sur une démocratisation de leur gestion conduisit à la dislocation des liens entre républiques.

La dernière phase (1974-1980).

Elle est typique des réponses titistes face aux conflits : après avoir réprimé les syndicats, les intellectuels marxistes et les jeunes socialistes de gauche, le régime réprima les nationalistes libéraux … et il opéra un nouveau tournant constitutionnel en 1974 : les réformes accordaient par en haut ce qui avait été revendiqué (de façon contradictoire) par les-uns et par les autres :
 D’un côté, en réponse aux mobilisations de la gauche marxiste on limitait le marché par des formes de planification contractuelle et par le démantèlement du pouvoir des technocrates et des banques qui s’était autonomisé dans la phase antérieure : l’autogestion des travailleurs acquérait des droits de gestion plus grands mais en même temps décentralisés au niveau des « unités de base » (ateliers) ;
 et de l’autre, en réponse aux nationalismes montants, on accentuait la décentralisation économique dans le contrôle des ressources, de la fiscalité, du commerce extérieur…

Avec la décennie 1980

La Yougoslavie connut une dette extérieure de 20 milliards de dollars, l’hyperinflation (à trois chiffres) et l’envol du chômage notamment dans les régions à forte démographie (comme au Kosovo).

La politique d’austérité imposée par le FMI mit fin aux droits autogestionnaires ; la logique des privatisations et de l’adhésion à l’Union européenne en ordre dispersé acheva de désagréger le système.

La crise de l’autogestion et l’éclatement final de la Yougoslavie prouve que l’autogestion n’y était pas dotée des institutions adéquates à la cohérence, aux aspirations des autogestionnaires.

Cela doit nous amener à nous poser les questions suivantes :
Quelles sont les institutions adéquates à un projet socialiste autogestionnaire – et qui ont manqué en Yougoslavie ?
Quels sont les fils conducteurs pour en juger ?

Je pense que le statut des êtres humains (donc les rapports de propriété) et la démocratie économique doivent être au centre de la réflexion.

Si l’on reprend alors le débat sur les échecs yougoslaves avec pour critère cette logique démocratique autogestionnaire, on peut montrer dans chaque phase quelles institutions brimaient les aspirations autogestionnaires ou les rendaient inefficaces – et en tirer quelques fils conducteurs.

Par rapport cette question centrale le bilan est clair :
il n’y a jamais eu de débats publics, politiques au sens riche, sur ce que pourraient être les critères d’efficacité (les buts, donc) adéquats à la société yougoslave autogestionnaire.
Il n’y a donc jamais eu non plus de débats sur les moyens pour y parvenir.

Les réformes (trois systèmes différents d’autogestion en trois décennies à partir des années 1950 jusqu’à la crise des années 1980) furent toujours introduites par en haut, sous la pression des contradictions et des conflits – après répression des « dissidences ». Elles furent interrompues également par en haut, sans débat public, pluraliste sur les bilans et les problèmes rencontrés.

Au total, les droits reconnus aux travailleurs yougoslaves jusqu’au début des années 1980 les avaient laissés au mieux piégés au sein de « leur » entreprise, sinon de « leur » atelier. Tel était le seul horizon de gestion et d’organisation un tant soit peu contrôlable par les intéressé/e/s.

Rien ne permettait de gérer collectivement la propriété sociale. Aucune institution (syndicale ou politique) ni aucune forme globale de représentation des autogestionnaires au plan fédéral n’avait permis de dépasser l’horizon borné des ateliers ou des républiques.

La Ligue des Communistes n’a jamais toléré de pluralisme politique en dehors d’elle ou en son sein – réprimant notamment les courants socialistes critiques. Les objectifs socialistes et les approches émancipatrices marxistes étaient massivement populaires dans les années 1960 au sein de l’intelligentsia, de la jeunesse et de la classe ouvrière yougoslaves. L’accumulation de tournants répressifs, de réformes et de contre-réformes sans bilans ont signifié la dégradation morale, le discrédit du projet socialiste et du parti qui était censé le porter.
Le tournant vers le libéralisme et le nationalisme dans les années 1980-1990 ont été le prix terrifiant à payer pour cette absence de démocratie : les « valeurs » nationalistes devinrent les point d’appui des diverses bureaucraties « communistes » - chacune revendiquant davantage de pouvoir et de privilèges au nom de « sa » nation.

Pourtant, une autre logique était possible, s’appuyant sur les aspirations autogestionnaires que le système avait nourries : Il fallait donc une mise à plat des coûts et gaspillages, incluant une remise en cause des privilèges bureaucratiques qui proliféraient (alors que ces mêmes bureaucrates demandaient aux travailleurs de se serrer la ceinture). Et il fallait un processus de décision et de reconversion solidaire, à l’échelle de la commune, de la branche, de la région, du pays. Le problème était insoluble au niveau de l’entreprise, pire de l’atelier.

L’autogestion yougoslave n’était pas dotée d’institutions lui donnant une cohérence d’ensemble adéquate aux aspirations spontanées des travailleurs (sécurité d’emploi, responsabilité, amélioration solidaire des niveaux de vie, libertés).

Quelles institutions ?

Les travailleurs/citoyens autogestionnaires ont besoin pour être efficaces, pour formuler les choix, évaluer leurs coûts et bénéfices, d’un ensemble d’institutions capables chacune d’exprimer ce que d’autres étouffent, de prendre en compte les oppressions persistantes, bref d’élargir les horizons et de faire apparaître les enjeux :

· Il faut évidemment faire appel, à chaque échelon où cela est nécessaire, aux experts . Mais les choix de société ne relèvent pas de simple savoir scientifique. N’importe quelle association doit pouvoir présenter ses propres contre-experts : le droit d’information économique, scientifique, etc…des opinions publiques, des parlements locaux et nationaux, des organes d’autogestion à tous les niveaux doit s’accompagner de tous les moyens matériels (médias, droit d’expression) permettant de clarifier les choix

· Contre le pouvoir des experts, exploitant parfois leur savoir pour étouffer les choix pluralistes de société, la démocratie autogestionnaire a besoin d’un pluralisme des partis politiques.

· Mais les choix politiques ne relèvent pas des seuls partis, mais aussi de diverses organisations : : les organisations de femmes, les syndicats, les associations de chômeurs ou d’usagers, les communautés diverses qui se sentent non prises en compte, doivent avoir les moyens de s’organiser et de s’exprimer pour que s’élargissent les horizons avant la prise de décision - ou pour que celle-ci puisse être contestée.

· Contre les dangers de substitutisme des partis, mais aussi d’associations, le socialisme autogestionnaire a besoin d’institutions de démocratie directe qui soient les réelles bases de la prise de décision…

· Par quel mécanisme démocratique procéder à un choix ? Qui doit décider et à quel niveau ? On sait bien aujourd’hui qu’il n’y a pas de réponse unique (et stable) à cette question qui exige un examen concret. On peut avancer un principe de « subsidiarité » démocratique. On peut aussi retenir en première approximation, que ceux/celles qui sont les plus concerné/e/s par un choix donné doivent pouvoir bénéficier d’une procédure privilégiée.

L’élargissement des horizons (dans la procédure de décision par recherche de consensus sur de nombreuses questions) ; les priorités de formation (pour réduire les effets de la délégation du pouvoir et permettre une meilleure maîtrise des choix) ; la réduction des écarts de richesse et de formation et plus largement l’accès de tous à des moyens d’information et d’existence de base (pour ne pas rendre formelle l’égalité des chances et des droits fondamentaux) … tous ces éléments ont souvent été soulignés comme des exigences éthiques, collectives, des points d’appui solides d’une démocratie économique.

En tout état de cause, les droits d’organisation et d’expression permettront de faire apparaître les points de vue étouffés.

Les grandes étapes du système économique dans la Yougoslavie de Tito.

A. 1945- 1950.

Planification totalement centralisée selon le mode de l’Union soviétique et la collectivisation des terres.

B. 1950/1952-1965.

Introduction puis extension de l’autogestion à tous les secteurs (services et culture compris ).
Cependant, l’Etat fédéral conserve une étroite centralisation des investissements et laisse peu de marge de gestion aux entreprises : entre autre, un impôts sur les fonds fixes alimente un Fond central d’investissement qui contrôle en gros 70% des investissements. Un plan central régit les grandes proportions ( consommation/investissements et structure des investissements ). Les banques sont essentiellement les médiateurs qui distribuent les crédits décidés centralement. Pour l’essentiel, les prix sont contrôlés ainsi que le commerce extérieur.
Le secteur privé est limité à l’agriculture ( 80% des terres sont privées après la décollectivisation de 1953, ( avec un maximum de 10 hectares )). et à l’artisanat ( maximum 5 salariés ). Les Conseils ouvriers et leurs Comités de gestion ( exécutifs ) gèrent ce qui reste après déduction des impôts et taxes, déterminent la répartition du revenu selon les résultats sur le marché, nomment, et peuvent révoquer la direction de l’entreprise.

C. 1965-1971.

Application de la Réforme économique :
L’augmentation de la productivité du travail est recherchée au travers de l’augmentation de la concurrence entre les entreprises et sur le marché mondial. C’est la « rentabilité » sur le marché qui doit guider les investissements, d’où :
 une libération considérable des prix (en principe, mais la Fédération sera obligée en pratique d’intervenir très souvent pour tenter de minimiser les dégâts sociaux de cette politique ) ;
 la suppression du Fond central d’investissement dont les ressources sont réparties entre les banques et les entreprises. On maintient un Fond d’aide aux régions sous-développées, mais il s’agit d’un très faible pourcentage du produit social qui est alloué sous forme de prêts ( alors qu’auparavant il s’agissait d’une redistribution des ressources sans contre-partie ).

(Voir tableau en annexe)

D. 1971-1980.

Le système bancaire reste décentralisé, mais les fonds anonymes sont supprimés et les entreprises seules peuvent créer des banques commerciales, sur la base de leur propre apport. Ces banques sont des sortes d’institutions financières subordonnées aux entreprises.
Le plan fixe les grands choix d’orientation après un long processus d’ajustement à partir des plans des entreprises, communes et Républiques. A l’issue de ce processus, un système d’accords autogestionnaires doit sanctionner les grandes options prioritaires du plan national. Tout en tentant de respecter ces grandes options prioritaires – et donc les accords qu’elles ont conclu entre elles – les unités de travail sont libres de gérer leur revenu qui couvre désormais les investissements, la consommation collective et les revenus personnels.
Les services collectifs ( santé, loisirs, crèches, logements, etc. ) sont gérés par des Communauté d’Intérêt autogestionnaires ( SIZ ) qui associent les travailleurs et les utilisateurs des services.
Les services sont démantelés en unités de basse : les OBTA (Organisations de base du travail associé ) susceptibles de gérer leur budget. Les diverses OBTA sont réunies en OTA ( Organisations du travail associé, qui représentent plus ou moins les anciennes entreprises ) et en combinats fournissant plusieurs produits. Mais les OBTA restent souveraines dans le cadre des accords qu’elles contractent entre elles.
En dépit des deux crises pétrolières qui creusent, durant cette période, la dette, la croissance et les importations seront soutenues par des crédits intérieurs et extérieurs laxistes, ainsi que par la très forte demande intérieure.

Au niveau politique, un système de délégation est institué pour les élections aux assemblées de Communes et des Républiques : les OBTA élisent des délégations qui, elles-mêmes élisent des délégués ( révocables et censés rendre compte devant leurs mandataires ) aux Assemblées communales ; à côté de cette représentation faite à partir des organisations du travail, il y a une représentation ( par le même système de délégation/délégués ) des communautés locales et une autre des organisations politiques et syndicales ( d’où l’existence de trois chambres au niveau communale ). L’ensemble des chambres, mais aussi les délégués des organisations du travail et des organisations politiques et syndicales, élisent leurs délégués des organisations politiques et syndicales correspondantes au niveau des Républiques. L’ensemble des délégués communaux élisent leurs délégués à la Chambre fédérale et l’ensemble des délégués républicains élisent leurs délégués à la Chambre des Républiques et Provinces (sur une base égalitaire ). Ces deux dernières chambres représentent l’Assemblée fédérale.


E. 1980-1989.

Endettement. Crise – Politique d’austérité. Très grand nombre de grèves. De fait, les entreprises surendettées et en faillites ne sont pas fermées. L’hyperinflation atteint des sommets en 1989 ( 2 000% ).

Extrait de : SAMARY, Catherine. « La fragmentation de la Yougoslavie. Une mise en perspective ». In Cahiers d’études et de recherche de l’institut international de Recherche et Formation. n° 19-20. 1992.

Loi fondamentale sur la gestion des entreprises par les travailleurs du 27 juin 1950.

Le principe de la gestion ouvrière est énoncé comme suit dans l’article 1 :

« Les fabriques, mines, entreprises de communication, de transport, commerciales, agricoles, forestières, communales et autres entreprises d’Etat seront gérées, en tant que propriété commune de la nation, au nom de la communauté sociale, par des collectivités de travail dans le cadre du plan économique et sur la base des droits et obligations établis par les lois et règlements.
Les collectivités de travail assureront cette gestion par les conseils ouvriers et les comités de gestion des entreprises… ».

Ce n’est pas la propriété qui a été transférée aux travailleurs mais seulement leur gestion et le droit de participer aux revenus.

Ce droit de gestion doit s’exercer collectivement par l’intermédiaire d’organes élus :

 l’ensemble du personnel de l’entreprise élit pour un an le conseil ouvrier qui a la charge de définir les lignes essentielles de la politique de l’entreprise ( productions, investissements, prix, répartition des résultats, emplois…).

 Le conseil ouvrier élit pour un an, parmi les travailleurs de l’entreprise, un comité de gestion, organe exécutif dont les ¾ des membres doivent être directement employés à la production et dont fait également partie le directeur de l’entreprise. Ce dernier est responsable de son activité devant les organes d’autogestion et ne préside pas le comité de gestion.

La collectivité de travail doit assumer les risques et les avantages de la gestion de l’entreprise.

Le conseil ouvrier.

Il doit se réunir au moins une fois toutes les 6 semaines. Les réunions se tiennent en principe en dehors du temps de travail, bien que la loi n’interdis e pas le contraire.
Les réunions sont convoquées par le président du conseil ouvrier, une séance extraordinaire peut être convoquée à la demande du comité de gestion, du syndicat, de 1/3 de ses membres ou du directeur.
Les réunions ne sont pas publiques mais les membres de la collectivité de travail y sont admis de droit. Le directeur et le comité de gestion sont tenus d’assister aux sessions du conseil ouvrier, si des questions leurs sont posées ils sont tenus d’y répondre au cours de la même session.
Le conseil de gestion est tenu de soumettre au conseil ouvrier des rapports sur la gestion de l’entreprise ( environ un par trimestre ) en plus du rapport annuel.

L’ordre du jour est fixé par le conseil ouvrier lui-même. Il traite, entre autres points, de l’adoption du plan, de l’affectation des revenus de l’entreprise, de l’adoption de l’échelle des rémunération …

Le quorum est requis pour que le conseil puisse délibérer.

Les votes sont publics, sauf décision contraire du conseil,. Sur le PV on indique le nom de ceux qui ont voté pour ou contre les propositions.

Le conseil de gestion.

La fréquence de ses réunions n’est pas fixée par la loi ( la règle semble avoir été d’une par semaine dans les grandes entreprises ), une session extraordinaire peut être convoquée à la demande d’un de ses membres..

Les sessions ne sont pas ouvertes aux non-membres cependant les membres du conseil ouvrier y sont admis.

L’ordre du jour est préparé par son président en consultation avec le directeur de l’entreprise.

Pour le reste les règles de fonctionnement sont calquées sur celle du conseil ouvrier. Mais de fait les fonctionnements sont très variés : tantôt les membres se contentent de quelques commentaires sur les rapports et propositions du directeur, tantôt il s’est transformé en véritable « gouvernement collectif » de l’entreprise.


Présidents des organes d’autogestion.

En principe, ils ne jouissent d’aucune autorité particulière dans l’entreprise hors de leur fonction.


III) Les problèmes de l’autogestion

a)division du travail et compétence

Un des corps d’objections les plus solides contre la possibilité même d’un socialisme appuyé sur la démocratie au travail a été constitué par A.Gorz. En résumé : les exigences de la division technique du travail, inévitables dans un système de production moderne, amènent nécessairement à la division sociale du travail, c-a-d au pouvoir des dirigeants d’entreprise, quel que soit le régime juridique de propriété, ce qui explique entre autres la bureaucratisation et l’effondrement des Etats ouvriers.

On peut lui répondre ;

1) Que les thèses de l’autogestion ont connu une nouvelle vogue en rapport avec ce que les théoriciens du PSU appelaient la nouvelle classe ouvrière, les techniciens et cadres de plus en plus compétents et autonomes ;

2) La classe ouvrière directement productive a elle aussi connu une élévation générale du niveau de formation et une plus grande autonomie dans le travail en même temps qu’une plus grande pression en termes de résultats, due aux exigences croissantes de rentabilité du capital. Les contraintes purement techniques sont le plus souvent négociables et discutables dans le cadre d’une gestion collective.

3) Les expériences de remise en marche des entreprises montrent que pour la production courante, il n’y a pas de difficultés majeures.
La division technique du travail si elle pose des limites à l’autogestion ouvrière n’est sans doute pas un obstacle insurmontable.

b) entreprise, plan, marché

Plus compliqué et beaucoup plus abstrait , car non étayé par des expériences positives vastes et durables, se révèle le problème de l’articulation entre l’entreprise autogérée et l’ensemble de l’économie. L’observation montre que des entreprises démocratiques mais isolées comme les coopératives en système capitaliste ou même l’autogestion généralisée comme en Yougoslavie peuvent amener à une concurrence destructrice. Il faut donc que l’autogestion s’intègre dans une planification démocratique ; se pose alors le problème de la démocratie ouvrière au delà de l’entreprise : pour ne pas retomber dans une planification autoritaire qui viderait de son sens l’autogestion, il faut des choix démocratiquement discutés sur un terrain extrêmement complexe : la planification.
Thomas Coutrot évoque plusieurs théories pour résoudre la question :

 Le socialisme de marché : le marché fonctionne comme régulateur, mais la concentration du capital est interdite. Ce modèle n’empêche pas la concurrence mais la limite sans pour autant amener à une amélioration générale des conditions de production

 la démocratie électronique : théorie plus récente et rendue concevable par l’explosion des télécommunications, elle repose sur une articulation de différents niveaux
les consommateurs associés au niveau local déterminent les biens qu’ils estiment nécessaires ;
un bureau central présente un projet théorique d’allocations de ressources qui déterminent un système de prix et d’objectifs de production, les consommateurs et les collectifs de production réagissent à cette première simulation en modifiant leurs offres et demandes jusqu’à ce que surgisse un modèle optimum ayant l’accord des uns et des autres.

Ce système repose sur un présupposé idéaliste : l’idée que les consommateurs connaissent leurs besoins et réagissent rationnellement tandis que les producteurs agiraient tous en fonction du bien commun et non de leurs intérêts égoïstes.

Par ailleurs ce système exige que tout le monde se prononce quasiment en permanence sur une quantité effroyable de détails économiques. Il est inconcevable que ce système puisse fonctionner sur la durée, il risque de vider de son sens l’autogestion puisque les décisions sont déclinées à l’infini sans que l’on puisse trancher véritablement. Ce serait en fait un marché parfait non capitaliste où ne régneraient que l’offre et la demande.

 Coutrot préconise un système plus raisonnable : les projets de planification présentent des choix d’objectifs et de priorités qui sont débattus en tant qu’orientations générales, le détail techniques étant renvoyé à des instances spécifiques ou aux organes de l’entreprise. La réaction des usagers et consommateurs passe par deux canaux : le choix des grandes options et d’autres part le marché : les produits non achetés doivent amener à une réorientation de la production ou à un effort d’explication pour en montrer l’intérêt. S’il n’y a pas de marché de capitaux, les entreprises autogérées auront tendance à diffuser l’information et à réagir aux tendance du marché.
Cela suppose que les entreprises publiques ne soient pas gérées uniquement par leurs employés mais qu’interviennent clients, habitants et autorités locales. La propriété sociale doit exister à tous les niveaux pour éviter le corporatisme autogestionnaire.

c) Economie et politique : la définition du pouvoir ouvrier :

Le socialisme est inscrit dans le caractère de plus en plus socialisé du travail : de moins en moins d’entreprises travaillent pour un marché local avec des ressources locales. Par ailleurs le procès de travail intègre toujours davantage de données immatérielles qui ne se prêtent pas à l’appropriation privée : connaissances par ex . Ces aspects entrent en contradiction avec l’appropriation privée des moyens de production et la marchandisation des produits. On en voit un aspect dans les débats qui tournent autour de la propriété des créations intellectuelles : brevets, œuvres artistiques, logiciels etc.
Les produits matériels ont aussi un usage social qui doit être géré par la collectivité et pas seulement par le processus de production, ce qui signifie que le pouvoir ouvrier ne se réduit pas à l’autogestion de l’entreprise, mais qu’il est d’abord le pouvoir politique des conseils sur l’ensemble de la société, le pouvoir des travailleurs sur leur outil de travail devant lui être subordonné mais non pas nié. La libération du travail passe par l’organisation rationnelle du travail en fonction des besoins humains et un pouvoir autoritaire sur la production et la distribution perdrait son sens comme c’est le cas dans le capitalisme.
En même temps la logique de ce pouvoir des conseils devrait être de réduire de plus ne plus la frontière entre l’économie et la politique, de faire de l’économie le lieu de choix politiques. Bien évidemment le domaine de l’économie est celui de la contrainte : limitation de ressources optimisation du travail, mais l’objectif socialiste est de lever le maximum de contraintes par l’emploi de toutes les ressources humaines. Cette société d’abondance ne peut être que relative puisque des limites existent : espace, population, ressources naturelles, mais la démocratie socialiste devrait permettre d’en tirer le meilleur parti possible.

Conclusion :

Le terme d’autogestion ayant de multiples significations ne peut être comme tel un mot d’ordre permanent mais plutôt un fil conducteur qui inspire des revendications :

 Les revendications de contrôle ouvrier

*défensives : protection de la santé et de la préservation de la force de travail : droit d’alerte, de retrait, contestation du rythme du travail etc.

*offensives : contre l’utilisation irrationnelle te arbitraire du capital : information de travailleurs, droit de veto face aux fermetures et restructurations,contrôle des comptes etc.

 les revendications concernant l’humanisation du travail et de ses produits : utilité sociale de la production, dimension écologiques ou éthiques de celle-ci . Cet aspect dépasse l’entreprise stricte et fait appel à des forces extérieures : groupes de citoyens, d’habitants, de consommateurs etc.

 les revendications amenant à une prise en charge directe de la production : remise en marche de l’outil de travail dans le cas de fermetures ou de grèves longues

 enfin l’autogestion est un éclairage d’une démarche de démocratie ouvrière qui vise à prendre en charge collectivement l’ensemble des tâches qui s’effectuent aujourd’hui dans l’optique du produit maximum. Cette démocratie ouvrière suppose bien évidemment l’existences de fractions, tendances et partis pour rendre lisible les enjeux et clarifier les choix.

Ecoutons Mandel
"C’est une illusion de penser que le simple processus démocratique (le vote) donnera automatiquement la majorité aux thèses qui reflètent le mieux les intérêts de la classe dans son ensemble...La structuration organique des tendances en organisations et partis permet de clarifier le débat ; la confrontation confuse d’un grand nombre d’individus non groupés ne peut que faciliter l’emprise des ou de groupes privilégiés."

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